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quand il parle de l’idéal, on sent bien que ce n’est pas chez lui une vaine formule. Chevalerie mondaine, chevalerie militaire, chevalerie religieuse, tout cela est sincère dans son imagination comme dans sa vie ; je voudrais seulement que des sentimens profanes ne vinssent pas altérer si souvent les mystiques effusions de son spiritualisme. Je n’en citerai qu’un exemple. M. de Molènes a prononcé de fières paroles à propos de la mort, il la défie comme un Celte, il lui sourit d’avance avec une curiosité ardente et une intrépidité mystique, il lui sourit au nom de l’Évangile comme au nom de l’honneur du drapeau, et je me suis rappelé, en le lisant, ces paroles de Fénelon qui pourraient servir d’épigraphe aux Voyages et Pensées militaires : « Quand on est chrétien, il n’est pas permis d’être lâche. L’âme du christianisme, si on peut parler ainsi, c’est le mépris de cette vie et l’amour de l’autre. » Ces mots disent tout ce qu’il faut dire sur ce grand sujet de la mort, et ils le disent avec une précision admirable. Mépriser cette vie, rien de mieux, mais il faut craindre d’en faire fi par jactance, d’estimer trop bas cette existence d’un jour, condition et fondement d’une existence immortelle. Si on agit ainsi pour obéir à la mélancolie surannée de René ou de Werther, si on s’inspire, pour mépriser ce don divin, non pas d’une pensée chrétienne ou spiritualiste, mais du souvenir des gentilshommes blasés ou des esprits violens ; enfin si on écrit cette phrase : « Le détachement de la vie est la première condition de la vie spirituelle et de la vie élégante, c’est par là que les bandits touchent aux raffinés et aux saints, » il y a là une confusion de sentimens qui excite une invincible défiance. Ces raffinés, ces saints, ces bandits, associés d’une façon si étrange, nous avertissent que l’auteur a mal lu l’Imitation, puisqu’il n’y a vu, comme dans Werther et René, qu’un manuel de poésie.

C’est la faute de M. de Molènes si on est toujours amené à lui parler théologie, et si, pour juger les Solitudes de Sidi-Pontrailles, un Portrait de souvenir, les Souffrances d’un Houzard, on est tenté de demander conseil à Bossuet et à Fénelon, à Pascal et à Bourdaloue. Je n’insisterai pas davantage : j’aime mieux indiquer tout ce qu’il y a de qualités charmantes à côté de ces erreurs. Un rare mérite de M. de Molènes, c’est que, le premier, il a frayé la route à une sorte de littérature algérienne. L’Algérie a déjà un caractère propre ; M. de Molènes a saisi ce caractère en artiste et en poète. Artiste, il a peint les couleurs du paysage africain ; poète, il a compris la beauté de ce ciel profond et lumineux sous lequel l’orateur romain, comme il le remarque avec esprit, a placé le songe de Scipion. Ses tableaux du désert, tracés en quelques lignes, éblouissent les yeux. Les ravins de l’Atlas, les pentes du Jurjura, les fraîches vallées tout à coup