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ceux qui virent dans cette visite à Londres les miss Brown (c’était le pseudonyme qu’elles avaient adopté) les prirent pour de petites campagnardes timides, réservées et n’ayant pas grand’chose à dire.

À leur retour à Haworth, elles trouvèrent un spectacle fort différent de celui qu’elles venaient de contempler. « Branwell est toujours le même, écrit Charlotte, sa constitution semble complètement ruinée. Papa et quelquefois nous toutes, nous passons de tristes nuits. » Charlotte écrivait ces lignes le 25 juillet 1848 ; moins de deux mois après, Branwell avait cessé d’exister. Depuis longtemps, Charlotte portait le deuil de son idole dans son cœur et était préparée à l’instant suprême ; lorsqu’il arriva cependant, les vieilles affections se réveillèrent, et elle fut presque étonnée de se trouver moins forte qu’elle ne l’avait cru. « Il est dans les mains de Dieu maintenant, et le Tout-Puissant est aussi le tout miséricordieux. La pensée qu’il repose enfin, qu’il repose bien, après sa courte existence pleine d’erreurs, de souffrance et de fièvre, remplit et calme mon esprit. La séparation dernière, le spectacle de son pâle cadavre me firent éprouver des souffrances plus amères que je ne l’aurais supposé. Tous ses vices ne sont rien maintenant, nous ne nous rappelons que ses malheurs. » Les approches de la mort semblèrent transformer l’âme de Branwell ; il y eut chez lui un retour d’affection naturelle pour ses parens, si souvent négligés pour des habitudes d’intempérance, et depuis si longtemps oubliés pour des souvenirs coupables. Lui qui avait eu si peu de volonté et de courage, il professait la théorie qu’aussi longtemps qu’il restait en nous une étincelle de vie, la volonté devait être maîtresse. Fidèle à sa théorie, il voulut mourir et mourut debout. « Il est mort, écrit l’implacable mistress Gaskell ; elle vit encore dans May-Fair ! Les Euménides, je suppose, moururent le jour où l’on entendit le cri : « Le grand Pan est mort ! » Leur perte est regrettable. Je crois que nous aurions pu beaucoup mieux nous passer du grand Pan que de ces sœurs terribles, qui par leurs coups de fouet pouvaient rappeler à la vie les consciences mortes. »

Branwell n’était pas encore refroidi dans sa tombe, qu’Emilie sentit les atteintes de la mort. « La toux d’Emilie est très obstinée. Elle est très maigre et très pâle. Sa nature silencieuse me donne de grands tourmens. Il est inutile de la questionner, vous n’obtenez jamais de réponse. Il est encore plus inutile de lui recommander des remèdes, ils ne sont jamais acceptés. Je ne puis non plus fermer les yeux sur la santé délicate et la faiblesse de constitution d’Anne. » Emilie resta sauvage, indépendante et fière jusqu’à la fin. Ses souffrances étaient cruelles, mais elle souffrait tout sans desserrer les dents, sans réclamer aucun témoignage de sympathie. Elle refusa