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que les barons n’en mirent à confondre ces deux idées. Saint Louis se crut le premier assez fort et assez protégé par le prestige de ses vertus pour en proclamer résolument la distinction et pour faire aboutir au trône toutes les juridictions locales par la voie des cas royaux et la suppression des guerres privées. Sans aspirer à détruire ni la constitution seigneuriale qui régissait les campagnes, ni les pouvoirs municipaux achetés ou usurpés par les villes, il se posa en dispensateur suprême de la force et de la justice par tout son royaume. Ses petits-fils marchèrent sur ses traces, appuyés sur l’influence chaque jour croissante d’une bourgeoisie qui aspirait à se défendre par le concours de la royauté contre l’oppression baroniale.

À l’ouverture du XIVe siècle, le principe de prépondérance, pour lequel nos rois avaient livré de si rudes combats, n’était plus contesté, même par ceux qui, durant trois siècles, allaient encore lutter pour échapper à ses conséquences. Philippe le Bel divisa en trois branches la cour du roi, qui avait été le conseil unique des premiers Capétiens comme de la dynastie précédente. L’une fut le conseil étroit ou privé, occupé des affaires majeures, auprès duquel servirent les quatre clercs du secret, qui devaient s’appeler un jour les secrétaires d’état, hauts fonctionnaires dont l’existence laborieuse et modeste était l’expression même de cette bourgeoisie, destinée à vivre si longtemps à l’ombre du trône, importante, mais abaissée. — L’autre branche du grand conseil royal retint, avec le nom de parlement, l’attribution de toutes les contestations judiciaires, et, en acquérant bientôt après la permanence, elle devint, en face des états-généraux et au préjudice de ceux-ci, l’institution la plus importante de la monarchie. — La troisième enfin, appelée cour des comptes, centralisa la comptabilité financière, statuant sur toutes les dépenses mandatées, depuis les comptes des armées jusqu’à ceux des maisons royales, mais demeurant étrangère, comme elle l’est encore aujourd’hui, à l’administration proprement dite.

La royauté enfonçait avec lenteur ses racines au sein de cette terre hérissée de donjons et de fortifications municipales. Tantôt elle reculait devant une réaction féodale, comme il arriva après Philippe le Bel, et plus tard sous Charles VIII, à la suite des violences de Louis XI ; tantôt elle avait à compter, au sein des états-généraux, avec les passions et l’inexpérience de la démocratie, et l’ordonnance cabochienne de 1413 venait, au début du XVe siècle, tracer un programme de gouvernement dont la hardiesse n’a pas été dépassée aux jours de nos plus grandes audaces. Cependant la royauté, appuyée sur les intérêts grandis sous son aile, ne tardait pas à reprendre tout le terrain momentanément abandonné. À partir du XVIe siècle, ses conquêtes se comptent par année, pour ne pas dire par jour.