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Les chrétiens trouvèrent en lui un atroce persécuteur. Il fut habile, très habile (solertissimus), qualité qu’il ne faut pas trop admirer quand nulle autre ne l’accompagne, car on peut dire de l’habileté ce qu’on a dit de l’esprit : elle sert à tout et ne suffit à rien. Dioclétien tenta de perfectionner la machine usée et détraquée de l’empire ; il eut la passion et la science de la classification administrative. Il fit tout ployer sous le niveau régulier du pouvoir absolu, les prétoriens comme le sénat. Par malheur, en nivelant, on écrase : truncatœ vires urbis (Aurélius Victor). Il essaya, non par vanité folle, comme Héliogabale, mais dans une intention politique, de donner au pouvoir impérial le caractère et la pompe des despotismes de l’Orient. Il s’acharna barbarement contre le christianisme, qui ne se révoltait pas, mais portait en lui un principe sous lequel cet odieux empire romain devait succomber. Tout cela fut inutile. Cet empereur, qui organisait plus systématiquement qu’on ne l’avait fait depuis Auguste l’unité d’administration dans l’état, la scinda lui-même, et l’état fut divisé entre quatre et bientôt entre six souverains. Dioclétien perdit ses efforts à ranimer le paganisme par la persécution ; il ne put tuer ce qui devait vivre, pas plus qu’il ne put faire vivre ce qui devait mourir. Lui et son collègue Maximien, vaincus dans cette lutte, abdiquèrent le même jour comme atteints et détruits par le sentiment de l’impossible.

Je me souviens d’avoir entendu Niebuhr donner dans ses cours un motif politique de l’abdication de Sylla, dont le célèbre dialogue de Montesquieu ne donnait guère, selon lui, que des motifs poétiques et oratoires. Niebuhr disait que Sylla, dont la pensée fut de réorganiser l’aristocratie romaine, ne trouvant plus sous sa main les élémens de cette réorganisation, désespéra de son œuvre, et déposa un pouvoir qu’il sentait impuissant à l’accomplir. De même, je pense, Dioclétien, qui voulait constituer dans l’empire l’unité et la hiérarchie administratives, y faire triompher la religion officielle, entourer le pouvoir impérial du prestige monarchique, comme Sylla désespéra de son œuvre, et abdiqua par le même motif que lui. La tentative dans laquelle Dioclétien avait échoué, l’assimilation du despotisme romain au despotisme pompeux de l’Orient et au despotisme administratif des grandes monarchies modernes, fut reprise à Constantinople. Là elle réussit, et produisit cette décrépitude séculaire qui a porté si justement le nom de Bas-Empire.

Bien que Dioclétien ait été presque toujours absent de Rome, Rome possède les ruines d’un vaste monument auquel il a donné son nom ; mais les thermes de Dioclétien furent dédiés par quatre augustes et deux césars. Une inscription trouvée dans ces thermes contient avec le nom de Dioclétien ceux de deux Maximien (le second est Galère),