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l’histoire d’une nation par celle de toutes les autres ; elles guident les recherches et les conclusions de l’archéologue, et si elles ne comblent pas les lacunes, elles ouvrent du moins un espace immense aux esprits qui aiment à contempler la Providence dans la plus grande de ses œuvres, l’humanité. Ainsi l’histoire se modifie et s’étend sans cesse par l’afflux des idées qu’amènent la méditation, l’expérience, et dont la lumière plonge dans le gouffre immobile des jours anéantis. En réalité, à part quelques rares découvertes, et rarement importantes, il n’y a rien de nouveau ; les mêmes faits étaient là, mais inanimés, parce que l’intelligence ne les avait pas encore rapprochés pour leur trouver un sens et leur donner la vie. Ceci est l’œuvre de cet homme collectif de Pascal, qui apprend toujours et ne meurt jamais, et qui, s’accoutumant peu à peu à regarder ce qu’il ne faisait que voir, et à comprendre par comparaison ce qui, vu isolément, n’éveillait aucun rapport, multiplie et transmet ses notions acquises. Ce n’est pas l’histoire qui change, c’est nous qui changeons devant elle et qui nous fortifions par elle, à mesure que nous savons mieux réfléchir les rayons de la pensée divine dont elle est pleine et qu’elle nous envoie.

Ces variations apparentes, résultant de la marche même et de la solidarité des choses, et produites par la réflexion accumulée, n’ôtent rien à l’histoire de son autorité ; au contraire, elles l’augmentent ; bien plus, elles la font. À quoi servirait-elle donc, et comment serait-elle « la maîtresse de la vie, magistra vilœ, » si elle n’avait point des leçons pour chacune des générations futures ? Ou comment celles-ci en profiteraient-elles, si elles n’y découvraient point de rapport avec leur situation, qui est autre, c’est-à-dire si elles n’y découvraient point autre chose que ce que leurs prédécesseurs y ont vu ?

À ces causes générales de la formation de l’histoire, il faut, avons-nous dit, en ajouter une autre, qui est d’un ordre inférieur, et qui nous rapproche davantage de notre sujet. C’est la disposition qu’ont les hommes à chercher de préférence dans les temps écoulés ce qui les intéresse le plus au temps où ils vivent, à y reporter leur pensée toute chargée des désirs et des ressentimens contemporains, à s’y faire un parti rétrospectif, à y composer des argumens pour ou contre les opinions qui s’agitent autour d’eux. Tacite a signalé ce fait pour son temps comme une décadence de l’histoire, et il en a indiqué en trois mots les principaux élémens : « Quand le gouvernement, dit-il, tomba au pouvoir d’un seul, ces grands génies ne parurent plus. La vérité fut brisée en plusieurs sens, d’abord par l’inintelligence d’un état de choses auquel on était devenu étranger, ensuite par le vice de l’adulation, ou au contraire par la haine contre ceux qui régnaient. » Ainsi une vue incomplète ou inexacte d’un