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mille exemples d’impunité remplissent les importans mémoires où le jeune Fléchier a recueilli des souvenirs qui, pour nous, sont presque des révélations. Ces désordres, demeurés à peu près inconnus à l’histoire, quoique tenant une très grande place dans la vie de cette société, bientôt après si calme, sont confirmés d’ailleurs par des témoignages aussi nombreux qu’authentiques. Ils remplissent la plus grande partie des dépêches adressées à Colbert par Pommereuil, intendant à Clermont, Pellot, intendant à Montauban, de Sève, intendant à Bordeaux, et par les présidens Fieubet, d’Oppède et d’Atgouges[1]. Lorsqu’on sait quelle terreur entretenaient dans certaines provinces les mœurs des gentilshommes et la rapacité des agens du fisc, il est facile de comprendre l’ivresse avec laquelle fut accueillie la nomination de la chambre de justice et des commissaires des grands jours. Dans le Berri, en Auvergne, en Guienne, le peuple se releva tout à coup, prêt à se montrer oppresseur à son tour, de telle sorte que le gouvernement, qui venait de dresser à Clermont l’échafaud du vicomte de Beaufort-Canillac et de jeter grand nombre des plus riches seigneurs dans les cachots ou dans l’exil, eut bientôt à réprimer les menaces de Jacques Bonhomme contre toute l’aristocratie territoriale. À la rigueur de ces grands coups, les fils des anciens serfs avaient reconnu le sang des vieux rois justiciers, et c’était avec une tumultueuse reconnaissance qu’ils se montraient la fameuse médaille commémorative des actes judiciaires de 1665, médaille qui représentait un esclave se relevant sous la protection du glaive royal, avec ces mots en exergue : Salus provinciarum ; repressa potentiorum audacia.

Louis XIV allait profiter bientôt de la consolidation de sa puissance en traçant à la procédure criminelle des règles non moins précieuses pour les accusés que pour la société elle-même ; mais il n’y a point à s’étonner si, au début de son règne, il voulut user des armes que ses prédécesseurs lui avaient léguées pour reprendre la haute tutelle des faibles et des opprimés en présence de parlemens irrésolus ou intimidés. En convoquant les grands jours, il usa du seul moyen de répression efficace qu’eussent employé les rois de France depuis le règne de François Ier. La terreur que répandirent M. de Novion et ses quatorze commissaires en robe rouge fit tomber toutes les résistances formées par le concert des habitudes avec les intérêts, et Louis XIV, demeuré dans son royaume l’unique dispensateur de la force et de la justice en fait comme en droit, put bientôt

  1. Correspondance administrative, t. II, première partie. Pour se pénétrer de la nécessité où fut Louis XIV d’exercer au début de son règne une justice sommaire et rigoureuse, il faut lire le discours de Talon à l’ouverture des grands jours d’Auvergne. — Appendice aux Mémoires de Fléchier.