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vit aussi dans le cours des délibérations que les vieux élémens de désordre étaient plutôt comprimés qu’éteints ; les puissances oligarchiques montrèrent qu’elles pouvaient renaître, et qu’elles auraient trouvé des instrumens dans le sein de la liberté même. Quelques hommes semblaient capables de lutter contre ces obstacles ; mais, comme il arrive dans ces momens critiques et dans les passages trop brusques, leurs pensées étaient trop supérieures à celles de tous. Dans ces obscurités et dans ces craintes, l’intrigue trouva de nombreuses ouvertures ; l’assemblée, quand elle se sépara, n’avait rempli que les vues du ministère ; la condition fondamentale qu’elle avait imposée, celle de la convocation des états-généraux tous les deux ans, trop peu soutenue d’autres mesures, ne fut point observée : c’eût été une révolution accomplie d’un trait de plume, les événemens l’effacèrent non moins vite.

Mais, dans cette grande manifestation, nous trouvons quelque chose de mieux qu’une conquête prématurée, qui aurait été infructueuse, ou qui, se réduisant à voter l’impôt et abandonnant la législation, aurait peut-être accoutumé la nation à se tenir au-dessous de ses propres idées. Nous y trouvons l’expression nouvelle et plus forte de ces idées et un exemple d’éloquence parlementaire à la manière antique, tel que, ni dans ce siècle ni même dans les deux suivans, les archives de la liberté anglaise ne pourraient assurément rien produire de comparable. Deux hommes se distinguèrent aux états par l’habileté, l’éloquence, la hardiesse des opinions et la fermeté à les soutenir, un prêtre et un noble. Le premier était Jehan Masselin, chanoine de la cathédrale de Rouen, qui nous a laissé le journal de cette session fameuse. Il inspirait et dirigeait la députation normande, qui, animée encore de l’esprit de Thomas Basin, prit l’initiative des résolutions les plus généreuses, et ne céda qu’après la défection des autres provinces. Le second était Philippe Pot, seigneur de La Roche, d’une ancienne famille qui s’allia depuis aux Montmorency, génie ardent et aventureux, qui, dans sa jeunesse, était allé combattre à Constantinople contre les Turcs ; conseiller fidèle de la maison de Bourgogne jusqu’à sa chute, appelé par ses contemporains bouche de Cicéron à cause d’une éloquence abondante et chaleureuse où on sentait l’étude de l’antiquité romaine. Dans un discours que George Chastelain[1] lui fait adresser au sire de Croï pour le réconcilier avec Charles le Téméraire, alors comte de Charolais, ces qualités de son talent sont assez bien rendues ; mais aux états-généraux il a mûri, il est plus sobre et plus vigoureux : il a la fermeté, la gravité, en même temps que le mouvement rapide qui

  1. Chronique des ducs de Bourgogne.