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population est mélangée de musulmans et d’Idolâtres. Le souverain est désigné souvent à Idda par le titre d’onù, qui correspond à celui de roi. Dans les contrées environnantes, on l’appelle plus généralement, atta, ce qui signifie père. Autrefois il était l’un des plus puissans chefs de cette région, mais nous avons vu qu’aujourd’hui son autorité est très contestée a Idda même.

M, Baikie insista pour avoir une entrevue avec le roi d’Igara. Il se rendit donc à Idda. Conduits de dignitaire en dignitaire jusqu’à un groupe de huttes qui sert de palais au prince nègre, les Anglais eurent à subir une heure et demie d’attente avant d’être admis devant l’atta (c’est le nom du souverain d’Igara). On connaît toutes les puérilités de l’étiquette orientale ; nous croyons donc inutile de reproduire, d’après M. Baikie, les détails de cette entrevue, qui n’ont rien de caractéristique, si ce n’est la sollicitude des courtisans veillant sur le chef nègre et sans cesse préoccupés de cacher leur souverain aux regards profanes des étrangers. Notons aussi le mode de communication employé entre le roi nègre et ses visiteurs. M. Baikie s’exprimait en anglais. Un premier interprète traduisait les paroles anglaises en mots tirés d’un dialecte très répandu parmi les riverains du Niger, le dialecte hausa ; un second interprète, prosterné devant le roi, lui répétait les mêmes paroles en dialecte igara. Le souverain ne répondit aux complimens de M. Baikie que par un signe d’approbation, et les visiteurs furent congédiés.

D’Idda, l’expédition se dirigea vers Igbégbe, au confluent du Kwora et du Binue. On sait que son but était de remonter cet affluent, qui n’est autre que le Tchadda, et qui pourrait devenir une des routes du Soudan. Les Anglais allaient donc quitter le Niger pour le Binue. À partir d’Idda, le grand fleuve s’était montré dans toute sa magnificence. L’horizon s’était élargi. Deux chaînes de montagnes parallèles marquaient les limites de l’immense vallée qu’arrose le Niger. Les hommes de l’expédition, mis, depuis leur entrée dans le fleuve, à la ration d’un demi-verre de quinine par jour, étaient dans un excellent état de santé. Les naturels se montraient affables ; il n’y avait qu’un seul ennemi qui exerçât la patience des voyageurs, c’étaient les moustiques, la mouche de sable, échappant à toutes les poursuites et traversant les gazes les plus fines, et la mouche ordinaire, dont les innombrables essaims pénétraient dans les oreilles, les narines, la bouche, et s’attachaient à tous les alimens.

M. Baikie s’adjoignit à Igbégbe quelques naturels, dans l’intention de les employer comme interprètes et comme messagers. Parmi ces hommes se trouvait un certain Zuri, un peu fourbe, un peu menteur, mais fort intelligent, et connaissant à merveille les pays circonvoisins, qu’il avait maintes fois parcourus. Pour se ménager partout de bonnes relations, il avait, suivant une coutume fort bizarre et cependant fréquente dans ces régions, épousé diverses femmes dans un grand nombre de localités. Il avait des enfans de plusieurs d’entre elles, et ne voyait que passagèrement les familles qu’il s’était ainsi créées pour les besoins de son trafic et la commodité de ses voyages.

D’Igbégbe, les voyageurs eussent bien désiré faire parvenir de leurs nouvelles aux établissemens anglais ; mais on leur dit que cela n’était pas possible à cause des dissensions intestines et d’une grande invasion de Fellatahs qui ravageaient alors le pays.