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Parmi des mesures tellement diverses qu’on éprouve une difficulté véritable pour les énumérer, la plus importante fut le rétablissement de ce conseil du commerce, l’une des plus belles institutions de Henri IV, tombée en désuétude sous Mazarin ; À ce conseil, présidé par le roi avec sa ponctualité habituelle, vinrent aboutir tous les renseignemens des intendans sur les besoins de l’industrie et tous les documens adressés par les agens diplomatiques et consulaires chargés d’enrôler au dehors, au prix des plus grands sacrifices, les artistes et les ouvriers qui pouvaient alors manquer à la France.

Les travaux publics, ceux qui touchaient surtout à la rapidité des communications entre les diverses parties du territoire, reçurent une impulsion dont la vivacité attestait une préoccupation plus morale encore que matérielle. À ce règne remontent la plupart de nos routes actuelles, dont les étrangers n’admiraient pas moins alors la largeur que la solidité. Le fameux canal des deux mers fut entrepris et terminé malgré des obstacles devant lesquels aurait peut-être hésité la savante audace de notre temps ; on décréta le canal d’Orléans, on compléta celui de Briare, et Paris, assaini, pavé, éclairé, embelli par des monumens immortels, trouva dans un système d’approvisionnement bien assuré un éclat et une sécurité que ne connaissait à cette époque aucune des capitales de l’Europe.

Toujours poursuivi par la pensée d’unité qui était l’âme même du pouvoir monarchique dont il était le ministre, Colbert s’efforçait de s’en rapprocher dans toutes ses conceptions, lorsqu’il lui était interdit d’y atteindre. Assuré de rencontrer dans l’esprit de son royal maître l’adhésion la plus complète, il entama contre les antiques divisions territoriales, créées par les accidens de la nature ou de l’histoire, une lutte dont ni l’un ni l’autre n’aurait probablement désapprouvé la conclusion définitive, s’il leur avait été donné de la pressentir à cent ans de distance. Personne n’ignore qu’au XVIIe siècle les provinces, agglomérées successivement dans la vaste monarchie française, avaient conservé entre elles des barrières qu’aucun produit manufacturé ou naturel ne pouvait franchir, même en temps de disette, sans acquitter des droits qui avaient le double effet d’en retarder la circulation et d’en élever la valeur[1]. Moins puissant qu’une, révolution, quoiqu’il le fût beaucoup plus que tous ses prédécesseurs, Louis XIV ne pouvait consommer en un jour l’unité administrative de la France ; mais, contrairement à la marche de ceux

  1. Il faut voir dans le beau livre de Boisguillebert les effets, à peine croyables aujourd’hui, qu’avaient au siècle de Louis XIV la multiplicité des droits de douanes en cas de disette locale et l’action de ces droits sur le prix vénal des marchandises. — Détail de la France, 2e partie, ch. VIII, p. 104.