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Insensiblement et par un penchant naturel qui n’a pas lieu de surprendre chez un violoniste, M. Panofka a été amené à faire de l’art de chanter une étude approfondie, dont il a consigné les résultats dans une excellente méthode que j’ai recommandée depuis longtemps, aux lecteurs de la Revue[1]. La méthode de chant de M. Panofka ayant reçu l’approbation de M. Auber et du comité des études du Conservatoire, ainsi que celle de l’Institut, Bordogni se trouvait en quelque sorte autorisé à présenter M. Panofka comme son successeur à la classe de chant, qu’il ne pouvait plus diriger lui-même. Les vœux de Bordogni n’ont point été exaucés par son ami, M. le directeur du Conservatoire. Après trente ans de professorat, Bordogni pouvait espérer qu’on ferait un meilleur accueil à sa volonté dernière.

La province de Bergame a donné le jour à un grand nombre de ténors remarquables, qui tous ont laissé un nom dans l’histoire de l’art de chanter. C’est d’abord Viganorii, chanteur exquis, venu à Paris en 1789, où il est resté jusqu’à la l’évolution du 10 août. Viganoni a créé le rôle de Paolino du Mariage secret avec une telle perfection, que Cimarosa avait coutume de dire : « Qui n’a pas entendu Viganoni chanter l’air de Pria che spunti in ciel l’aurora ne peut avoir une idée de la perfection du style. » C’est Davide père, une des plus magnifiques voix qui aient existé, qui, pendant quarante ans, a été la merveille de l’Italie : il est aussi venu à Paris en 1785, et se fit entendre au concert spirituel. C’est Bianchi, ténor de force comme Davide, au style large et puissant ; c’est Crivelli, dont la voix admirable, le goût délicieux et la belle figure ont été si appréciés à Paris de 1811 à 1817 : il débuta au théâtre de l’Odéon, où étaient alors les Italiens, dans le rôle de Pirro de l’opéra de Paisiello, qui avait été écrit pour Davide, et se fit admirer à côté d’artistes comme Mme Festa et Barilli, et de Tacchinardi, autre ténor de mérite, qui fut le père de Mme Persiani, et qui était incomparable dans la Molinara de Paisiello, où il chantait le petit duo Nel cor piu non mi sento, me disait Choron, de manière à ne jamais se laisser oublier. Enfin c’est Nozzari, chanteur habile et savant, pour qui Rossini a beaucoup écrit, et qui a formé le goût de Rubini, son compatriote, dont il suffit de citer le nom. Voilà quels ont été les prédécesseurs, les compatriotes et en partie les contemporains de Bordogni, dont le nom restera aussi dans les fastes du bel art de chanter, qu’il avait étudié avec goût et intelligence.

Ce n’était point en effet un artiste médiocre que celui qui a occupé un rang honorable au Théâtre-Italien de Paris de 1818 à 1830, pendant cette belle époque de la restauration où la société française avait renoué la chaîne de ses traditions aimables de politesse et d’élégance. ’Les arts de la paix, la haute culture de l’esprit, la poésie et la liberté avaient remplacé les amertumes d’une gloire trop chèrement achetée. On était heureux de vivre et d’espérer au milieu d’une/génération pleine d’élan et d’enthousiasme pour les idées réparatrices qui s’élaboraient alors dans toutes les directions de la pensée. Chacun avait sa part d’irifluence dans le mouvement général, et la pojice n’était plus le régulateur suprême de la vie morale d’un grand peuple. Dans cette grande et véritable renaissance de la société polie, les arts, et particulièrement la musique, jetèrent un très vif éclat. L’opéra italien attirait

  1. Voyez la livraison du 15 mai 1854.