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Boucherat, Pontchartrain, Chamillart, Voysin, Le Pelletier, La Reynie, Gaumartin, figures désormais familières, depuis que dans l’élévation de leur fortune elles ont eu le dangereux honneur d’être burinées par Saint-Simon.

La commission chargée de préparer l’ordonnance civile à laquelle fut attribué le nom de Code Louis devait, tout en la déplorant, respecter la distinction établie dans le royaume par la pratique séculaire du droit coutumier et du droit romain. Fixer la compétence de manière à ce que nul ne fût désormais distrait de ses juges naturels, simplifier la procédure, réduire les frais, abréger les délais, dicter des règles identiques pour tous les tribunaux, en préparant l’unité du fond par l’unité de la forme, ce n’en fut pas moins à coup sûr un grand pas dans le sens des idées modernes, et la constituante de 1789 n’avait à tirer qu’une dernière conséquence de l’œuvre des commissaires de 1667. L’ordonnance criminelle de 1670 eut le même caractère de prudence et de progrès : elle ne prescrivit aucune innovation qui ne fût en faveur des accusés, et tempéra par des garanties précieuses les rigueurs encore trop nombreuses des temps barbares. Le même témoignage doit être porté du Code noir, qui, en maintenant le droit des maîtres dans ses inexorables nécessités, assura aux nègres des colonies françaises une situation plus douce, moralement supérieure à celle des esclaves des autres nations. Si l’on s’étonne aujourd’hui de la timidité de ces tentatives, il suffit de parcourir la Correspondance administrative pour s’assurer que le gouvernement de Louis XIV n’aurait pu faire un pas de plus sans passer du courage à la témérité. La plupart des parlemens opposèrent à l’exécution des ordonnances nouvelles ou des résistances effectives, ou une force d’inertie peut-être plus dangereuse. Ce fut par des ordres d’exil et des lettres de cachet que cette coalition, qui avait duré trente ans, fut enfin dissoute, grâce à la fermeté persévérante du chancelier de Pontchartrain[1]. Louis XIV avait donc accompli dans toute sa plénitude la tâche d’un roi qui entend diriger une réforme sans déchaîner une révolution.

On aurait en effet fort étonné Louis XIV en lui prédisant qu’une révolution sortirait un jour de son œuvre, parce que la bourgeoisie voudrait bientôt être placée dans la société française sur le même pied où il l’avait mise dans son gouvernement ; mais si, en cachant au grand roi tout le côté sinistre des événemens, on avait pu lui en présenter les seuls résultats administratifs, si on lui avait dit, par exemple, qu’un jour viendrait où le même droit régirait la France, où la vénalité des charges serait abolie et remplacée par des nominations

  1. Correspondance administrative, t. III. — Justice et Police.