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a considéré l’induction. Il n’a pas seulement indiqué d’une main sûre et d’un œil pénétrant les difficultés de la question ; il s’y est engagé, il y est descendu à une grande profondeur, et ses chapitres sur l’induction et la méthode inductive seront médités par les philosophes.

Un premier résultat de cette investigation approfondie, c’est de prouver que Bacon n’est jamais remonté aux principes de sa méthode. Il a célébré l’induction beaucoup plus qu’il ne l’a définie ; il a été plus attentif aux applications extérieures du procédé qu’à son mouvement interne et subjectif, et même en cherchant les lois de la nature, ou, comme il dit, les formes des choses naturelles, il n’a peut-être jamais su exactement ce qu’il voulait découvrir. « Oserons-nous dire, c’est M. de Rémusat qui parle, qu’il n’était pas dans son génie de chercher le principe d’aucune chose ? »

Ce que Bacon n’a pas fait, ce que plusieurs ont depuis essayé de faire sans réussir complètement, M. de Rémusat semble avoir eu peur de l’entreprendre. Il s’y résout pourtant et peut-être ne manque-t-il à la doctrine de ce rare esprit qu’un peu plus d’audace et de relief pour se montrer au grand jour dans toute sa justesse et toute sa vérité. Si j’ai bien compris l’auteur, car son pinceau discret procède par une suite de touches délicates plutôt que par un petit nombre de traits fortement dessinés, l’induction renferme deux sortes d’élémens, les uns fournis par l’expérience, les autres suggérés à priori. En d’autres termes, les phénomènes de ce vaste univers sont liés par deux sortes de rapports : les uns, accidentels et fortuits, qui tiennent à la diversité et à l’inextricable complication des causes ; les autres, essentiels, qui dérivent de la nature absolue des êtres. Ceux-là seuls sont stables et universels ; les saisir, voilà l’objet de la science. Or nous n’avons pour cela que deux moyens, nécessairement bornés et imparfaits : l’expérience et l’induction, de sorte que l’objet suprême où la science aspire reste toujours au-dessus d’elle comme une sorte d’idéal. Ce n’est pas que cet idéal nous soit absolument inaccessible, mais l’expérience et l’induction ne peuvent que s’en approcher toujours, sans être jamais assurées de l’atteindre dans son dernier fond. Ainsi l’esprit de l’homme, éclairé d’un rayon de la raison éternelle, cherche dans le développement des êtres les idées du créateur, et à mesure qu’il en saisit quelques caractères, il essaie d’écrire un livre dont chaque découverte accroît et rectifie les pages, mais qui ne sera jamais ni entièrement fini, ni même parfaitement corrigé.

Cet hiatus nécessaire et infranchissable entre ce que la raison pressent et ce que l’induction affirme, mais ce que Dieu seul sait et comprend, loin de condamner les méthodes à l’impuissance, en prouvera nécessité. Il ne faut pas se lasser de perfectionner l’art d’observer, l’art d’expérimenter, l’art d’induire, l’art de calculer, en un mot cet art merveilleux et compliqué d’interpréter la nature, qu’ont pratiqué Galilée et Kepler, Descartes et Newton, et dont Bacon, le premier, a essayé la théorie.

Quelle a été au juste l’influence de cet essai de théorie et de cette prédication éloquente ? Voilà une question que M. de Rémusat était plus que personne en mesure d’approfondir. On a pu contester avec vraisemblance l’influence réelle de Bacon ; on a dit que ses écrits, ayant à peine franchi le détroit avant Voltaire, n’avaient pu agir sur la France, ni sur l’Allemagne, ni sur l’Italie, que même en Angleterre les trois personnages qu’on prétend