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fatales ; elle en fait moins une protestation contre les siècles écoulés que le testament même de ces siècles.

À quelle époque arrêter le travail auquel Louis XIV mit la dernière main, mais dont il reçut la tradition de son aïeul, comme Henri IV l’avait reçue de François Ier, comme François Ier lui-même l’avait empruntée à Louis XI ? Le rival de Charles-Quint fut sans doute parmi nous le véritable fondateur du despotisme proprement dit ; mais comment sous son règne prévenir cette conséquence extrême des prémisses déjà posées ? comment éveiller l’esprit politique de la nation dans une époque toute dominée par les controverses religieuses ? Lorsqu’aux premières années du XVIe siècle les rois de France substituèrent leur bon plaisir au droit suprême de la nation, représentée par les états-généraux, cette grande révolution parut n’alarmer personne, et l’on en suit à peine la trace dans les écrivains contemporains. Si plus tard le sentiment de la liberté s’éveilla à la suite des passions religieuses et par l’effet même des dangereux problèmes que celles-ci avaient suscités, l’habileté de Henri IV, qui sut transformer une transaction en une victoire, ne tarda pas à l’étouffer. La dictature de Richelieu, qui fonda la suprématie de la France en Europe, vit s’élever beaucoup de prétentions individuelles ; mais celles-ci eurent du moins la pudeur de ne s’abriter derrière aucun intérêt public. La minorité qui avait précédé son ministère et celle qui le suivit furent plus hypocritement cyniques : des seigneurs vendus à l’étranger et gorgés de son or se posèrent en redresseurs des griefs populaires et en restaurateurs de la liberté perdue ; ce fut son dernier malheur, et sous un tel coup on put croire qu’elle avait succombé pour jamais. Louis XIV se trouva donc en complète harmonie avec le sentiment public, lorsqu’il concentra tous les pouvoirs dans sa main, et qu’à la veille de reculer les frontières de la France, il fit d’une organisation fortement concentrée la base de son immense puissance militaire. Si Colbert n’avait pas transformé ses finances, si Le Tellier et Louvois n’avaient pas discipliné ses armées, il n’aurait pu profiter des perspectives que lui ouvrirent au début de son règne la paralysie de l’Espagne, la vénalité de Charles II et les dissensions intérieures de l’empire germanique. S’il n’avait eu les plus belles finances et la monarchie la plus compacte de l’Europe, il aurait infailliblement succombé sous la double coalition provoquée par ses fautes. Lorsque ces ministres eurent disparu avec la génération qui avait fait la grandeur du règne, leurs tristes successeurs eurent sous la main, pour suppléer à leur insuffisance, des instrumens de gouvernement qu’aucune nation ne possédait alors. Ce fut en les déployant sans réserve et sans pitié, en fermant l’oreille aux cris de désespoir d’un pays