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Quoi qu’il en soit, on ne peut refuser à Lamennais le mérite d’avoir vu avec une singulière perspicacité l’avenir du catholicisme et d’avoir inventé toutes les machines de guerre que le parti catholique a depuis si habilement employées. La guerre obstinée contre l’université, l’artifice par lequel les privilèges les plus exorbitans sont présentés comme une revendication toute naturelle de la liberté, l’importance prépondérante du publiciste dans l’église, sont autant d’innovations qui datent de lui. L’état de l’église de France est bien maintenant ce que le voulait Lamennais en 1825, et l’état général de l’église tend de plus en plus vers le même idéal. Le parti catholique, d’abord repoussé par l’église officielle, tend à devenir officiel à son tour. L’agence catholique que voulait Lamennais, cette espèce d’administration dont le centre eût été à Rome, et dont le journalisme eût été l’instrument principal, est au fond le programme de la réaction catholique dans toute l’Europe. Lamennais a compris tout cela, l’a appelé de ses vœux, et l’a maudit la veille du jour où ses vœux allaient se réaliser. Il vit que le système des églises nationales, composées de diocèses organisés sur une sorte de droit divin, allait se perdant dans l’idée de catholicité, que la féodalité, ou, en d’autres termes, la souveraineté divisée, tendait à disparaître de l’église comme elle a disparu de l’état, que l’église obéissait comme le monde entier à une tendance vers la centralisation. La justesse de ses prévisions sur tous ces points est vraiment digne d’admiration : je suis persuadé que l’avenir ne fera que confirmer ce qu’il a si finement entrevu.

Sans vouloir en effet hasarder de prophétie sur un sujet aussi délicat, il est permis de dire qu’une grande révolution est sur le point de s’accomplir dans le sein de la catholicité, que dis-je ? est déjà accomplie. Le type du gouvernement que Napoléon imagina pour la France devient celui de l’église. L’institution de l’évêque envisagé comme le souverain spirituel de son diocèse, réglant sa liturgie, parlant seul à ses fidèles par ses mandemens, est en contradiction avec l’état actuel du monde et la tendance des temps modernes vers les grandes agglomérations. L’évêque en vient de plus en plus à n’être que le représentant d’un pouvoir central, un véritable préfet. Que restera-t-il debout dans un pareil état de l’église ? Deux choses, l’administration romaine et le journalisme. Le journalisme en effet est seul capable d’une action centrale. L’évêque s’adresse à quelques milliers de fidèles, répandus sur quelques lieues de territoire. Le journaliste catholique s’adresse à toute la chrétienté ; il peut enseigner dans le diocèse même de l’évêque qui le combat, parler aux fidèles sans la permission du pasteur. On ne songe point assez à l’énorme importance de cette révolution ; ce que les ordres mendians