Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 10.djvu/784

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

notable de son territoire reste sacrifiée à une administration qui n’aura plus rien d’italien. Que conclure de tout cela ? Que la papauté s’en va de l’Italie, qu’avant cinquante ans il sortira d’un conclave un pape non italien. Ce jour-là, le parti catholique aura remporté sa dernière victoire et sera arrivé réellement au gouvernement de la catholicité.

Les choses étaient loin de là en 1832. Rome, avec une sorte de pressentiment et avec sa finesse habituelle, comprit qu’on lui offrait trop de dévouement pour que ce dévouement fût désintéressé. Le parti catholique d’ailleurs, si dévoué à l’ultramontanisme, est en général peu compris des Italiens. Rome a des habitudes bien plus politiques et plus calmes : ces excès de zèle lui paraissent la conséquence de la furia francese ; elle ne les encourage jamais jusqu’à se compromettre, et les accueille avec une réserve mêlée d’une fine ironie. En condamnant des auxiliaires qui voulaient la sauver à leur profit, la papauté fit certainement un acte d’habileté. Il est curieux du reste que le sort de presque tous les apologistes qui se sont levés de notre temps pour soutenir devant le siècle la cause de l’église a été d’être condamnés. Cela tient sans doute à la prudente ingratitude qui porte les pouvoirs à n’avouer leurs publicistes que dans la limite où il convient à leurs intérêts ; mais cela tient aussi à la position du catholicisme vis-à-vis des exigences de la raison moderne. Pour défendre l’orthodoxie, on est obligé d’en sortir. Le compromis au moyen duquel on croit pouvoir être à la fois orthodoxe et libéral ne peut longtemps durer ; les élémens opposés qu’on a réunis de force se repoussent. Alors qu’arrive-t-il ? Ou l’on cesse d’être libéral, et l’on reste catholique ; ou l’on cesse d’être catholique, et l’on reste libéral.

En ce qui concerne Lamennais, un œil pénétrant eût aperçu dès-lors l’évolution hardie par laquelle il allait, dans les deux années suivantes, étonner le monde. On essaie vainement de se figurer le fougueux ecclésiaste adhérant à l’encyclique, devenant un écrivain discipliné, et renonçant par ordre supérieur aux exagérations de son zèle. La modération ne s’acquiert pas : après le paroxysme de l’Avenir, Lamennais n’avait plus qu’à briser. Une thèse nouvelle, altière, tranchée, ne répugnant pas à la violence, pouvait seule désormais offrir un aliment à sa passion et un prétexte à son style retentissant.


II

Il y a dans une des épopées de l’Inde un épisode étrange où un solitaire, après avoir été chassé du ciel d’Indra, se crée par la