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rhéteur domine dans la préface de Dante ; l’homme attachant et digne de toute l’attention de la critique se retrouve dans les Mélanges. Il se retrouvera bien plus encore dans la Correspondance, dont la publication prochaine est annoncée. Cette correspondance sera, nous le croyons, un des documens les plus importans pour l’histoire intellectuelle de la première moitié de notre siècle. Tout ce qui tendra à rendre incomplètes les révélations qu’on est en droit d’attendre sur un homme qui appartient au public doit être hautement regretté.

Il est fâcheux que Lamennais, en traduisant la Divine Comédie, se soit cru obligé de joindre à sa traduction des considérations appartenant à l’histoire littéraire, avec laquelle il n’était point familier, et toute une philosophie de l’histoire qui a le tort grave de dégénérer souvent en lieux communs. Préoccupé d’un certain nombre de motifs d’amplification, qu’il prend pour des généralités, il ne voit pas les nuances infiniment diversifiées de ce qui est, encore moins de ce qui a été. L’histoire devient sous sa plume une sorte de grisaille incolore, formée par le mélange du blanc et du noir. Cette facile théorie qui, pour les besoins de l’esthétique, suppose tous les hommes dignes d’amour ou de haine, il l’applique sans discernement aux événemens du passé. Veut-on savoir par exemple comment l’invasion germanique et la féodalité, qui sont le nœud de l’histoire du monde, sont jugées ? « Le caractère des barbares ressemblait beaucoup à celui des tribus que nous nommons sauvages… Les barbares n’apportèrent chez les nations qu’ils envahirent aucun élément civilisateur, aucun principe d’organisation supérieure et durable. À leurs vices natifs, la cruauté, la ruse, la perfidie, la cupidité, vices communs de tous les sauvages, ils joignirent les vices des populations subjuguées, qu’ils plongèrent dans un abîme sans fond de misère, d’ignorance, de grossièreté brutale, de férocité, d’anarchie, dont le régime féodal offre le terme extrême… L’histoire ne présente aucune époque aussi calamiteuse. Ce fut le règne de la force brutale entre les mains de milliers de tyrans absolus chacun dans son domaine, en guerre perpétuelle les uns contre les autres, opprimant, dévastant de concert un peuple livré sans défense à leurs passions fougueuses, que ne contenait aucune loi, que ne tempérait chez la plupart aucun sentiment de justice, aucune idée de devoir réel, car le serf, le manant, le vilain, étaient hors de l’humanité pour ces chrétiens, comme ils se nommaient. » Cela est vrai sans doute à beaucoup d’égards ; mais que de distinctions seraient nécessaires pour qu’un tel jugement ne puisse être qualifié d’inexact ! Quelle injustice d’apprécier l’action de la race germanique dans le monde par l’incapacité puérile des Mérovingiens ou l’horrible anarchie à laquelle aboutit la féodalité vers le XIVe siècle, sans tenir compte de cette gravité, de ce sérieux, de cette profondeur de sentiment moral que les Germains