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cercle, plus de preuves possibles, ou en tout cas des preuves uniquement de raison, et qui dès-lors n’ont de force que celles de la pure raison naturelle, à qui l’on pose ce problème étrange : trouver dans la nature un motif de croire ce qu’on suppose être au-dessus de la nature. »

Sous le rapport littéraire, les Mélanges posthumes dont nous parlons me paraissent également dignes d’un grand intérêt. On y voit à quel point Lamennais fut toujours préoccupé du soin du style : une phrase bien faite lui plaisait pour elle-même, et il écrivait souvent une pensée uniquement parce que le tour lui en paraissait heureux. Les maximes détachées, sont un genre fort ingrat. Il y a une choquante prétention dans le fait d’un auteur qui se regarde penser, et qui pousse l’adoration de sa prose jusqu’à n’en pouvoir sacrifier aucun débris. La première condition de l’œuvre achevée est que le lecteur puisse croire qu’elle a été composée d’un seul trait, et qu’elle ne renferme pas une idée qui ne soit éclose spontanément dans l’esprit de l’auteur à propos du sujet : tous les intermédiaires qui ont servi à préparer la rédaction définitive, toutes les retouches, toutes les ratures doivent être dissimulées. Il serait fâcheux cependant que Lamennais ne nous eût pas livré ces curieuses confidences d’écrivain. Si l’on est blessé de voir le puissant orateur serrant dans son tiroir les antithèses et les traits brillans au fur et à mesure qu’ils lui viennent, il y a dans le soin du beau langage une garantie de sérieux fort précieuse aux yeux de la critique. Bien écrire suppose une discipline austère, une habitude de châtier sa pensée et d’en sacrifier les excès, qui sont inconciliables avec l’infériorité ou le désordre de l’esprit. C’est par là que Lamennais se distingue essentiellement des chefs de secte, qui en général écrivent très mal. Ne voyant pas beaucoup de choses à la fois, il lui était loisible de donner à son style cette limpidité qu’une pensée plus complexe n’atteint qu’avec peine. Il en était fier et jugeait fort sévèrement les façons de se mettre à l’aise avec la langue que la paresse a mises à la mode : « On ne sait presque plus le français, on ne l’écrit plus, on ne le parle plus. Si la décadence continue, cette belle langue deviendra une espèce de jargon à peine intelligible. Les journaux et la tribune ont surtout contribué à la corrompre, ainsi que certaines coteries de petits auteurs en prose et en vers, qui, avec une plénitude sans exemple de confiance en eux-mêmes et d’orgueil, sont venus secouer leurs sottises et leurs ignorances sur ce magnifique idiome… »

Je n’achève point la phrase : comme cela a lieu trop souvent chez Lamennais, elle se termine par une grossière injure. C’est la seule tache qu’il ait soufferte en son beau style ; la finesse d’esprit qui fait juger des choses non par des nuances tranchées, mais par mille tempéramens, lui manqua. À cela se rapporte un trait singulier, qui