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peut-être plus nombreuses qu’aujourd’hui, mais elles seraient traitées avec indulgence, car ces méprises mêmes prouveraient une ambition sincère et généreuse. La plupart des sculpteurs n’ont pas d’autre souci que l’exactitude, et ce n’est pas merveille s’ils arrivent à toucher le but qu’ils se proposent. J’aimerais mieux cent fois les voir se tromper que de les voir cheminer prudemment dans une route prosaïque. Ils ne savent guère s’égarer, ils se défient des aventures. Le nouveau, l’imprévu les effraient, comme la solitude et les ténèbres effraient les enfans. Ils montrent ce qu’ils ont vu, et copient d’une main diligente le modèle qui a posé devant eux. Plût à Dieu qu’ils fussent assez téméraires pour tenter l’expression d’une pensée ! ils pourraient se fourvoyer, mais ils vivraient par eux-mêmes, et leurs ouvrages, admirés ou blâmés, nous laisseraient un souvenir.

La sculpture monumentale peut rendre à l’école française les mêmes services que la peinture monumentale, et nous aurons peut-être l’occasion d’examiner dans quelle mesure elle a réalisé nos espérances. Nous devons quant à présent nous en tenir aux données théoriques. Or il est évident que la sculpture monumentale, en obligeant ceux qui manient le ciseau à s’élever au-dessus de la réalité, leur impose des études nouvelles. Qu’il s’agisse d’un fronton ou d’une caryatide, celui qui veut modeler une figure sent la nécessité de ne pas s’en tenir à ce qu’il a vu. Je ne parle pas, bien entendu, des proportions, qui sont réglées par la distance ; je parle du caractère, qui ne peut demeurer prosaïque sans blesser tous les regards. Celui qui veut inscrire son nom au front d’un monument comprend que l’imitation est insuffisante pour agir sur la foule. Lors même que les études de sa jeunesse ne l’auraient pas préparé à l’invention, il est tourmenté du besoin d’inventer. L’importance du monument qu’il est appelé à décorer excite en lui d’abord une défiance bien naturelle, puis bientôt une hardiesse inattendue. La grandeur de la tâche qui lui est imposée devient une source de courage. Il comprend qu’en demeurant dans les données prosaïques, il ne peut manquer d’échouer. En pareille occasion, le plus poltron se fait brave. C’est là le beau côté, le côté salutaire, le côté excellent de la sculpture monumentale. Malheureusement les architectes, qui jouent un rôle si important dans la distribution des travaux de sculpture, trouvent souvent moyen de rendre stérile ce qui devrait être fécond. Tantôt ils inventent sur le papier ce que le ciseau ne peut réaliser, tantôt ils désignent pour l’accomplissement de leur pensée des mains inhabiles. Ces deux fautes, qui suffiraient pour gâter les fruits de la sculpture monumentale, ne sont pas les seules que nous devions signaler. Avons-nous parmi nous des Phidias et des Ictinus qui n’attendent