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et qu’on ne saurait trop insister sur ce point. Pour réussir en suivant la voie qu’il a tracée, il faut absolument être muni de génie, et de telles provisions ne sont pas à la disposition du premier venu. On est donc mal venu à citer l’exemple de Ghiberti pour justifier la sculpture pittoresque. Le génie est une exception, l’histoire nous le démontre, et l’erreur dissimulée par le génie ne perd pas sa nature première. Les lois du bas-relief sont déterminées par les Panathénées, Ghiberti ne prévaudra pas contre Phidias. Quant aux bas-reliefs de Puget, je n’ai pas à m’en occuper. Ils ne possèdent pas une célébrité européenne, et je suis dispensé d’insister sur les défauts qui les déparent. Ghiberti est le parrain de la sculpture pittoresque, et c’est à lui que nous devons demander compte de l’erreur qui domine aujourd’hui. Or, pour tout homme de bonne foi, la supériorité des Panathénées sur les portes du Baptistère ne saurait être une question douteuse. Les cavaliers et les canéphores de la frise du Parthénon sont conçus avec une telle simplicité que tous les détails se révèlent au regard. Pour embrasser tous les détails des portes de Ghiberti, il faut une attention plus qu’ordinaire. Il est vrai qu’après les avoir étudiées, on ne regrette pas les heures dépensées ; mais quand on a comparé les plus belles œuvres de l’art antique aux œuvres les plus ingénieuses de l’art moderne, on est obligé de reconnaître que Ghiberti est inférieur à Phidias.

L’erreur que je combats est tellement accréditée, qu’elle pourrait facilement décourager les convictions qui ne seraient pas soutenues par la connaissance de l’histoire. Quant à ceux qui ont vécu dans le commerce du passé, ils n’auront pas de peine à tenir bon ; ils savent la raison de leur croyance et ne chancellent pas devant la première objection. La confusion de la sculpture et de la peinture est une des maladies esthétiques de notre temps ; pour parler sainement, et j’ajouterai utilement, de chacun de ces deux arts, il faut commencer par le reconnaître. Si l’on prend cette vérité pour point de départ, l’estimation des œuvres contemporaines est singulièrement simplifiée. Ces deux formes de l’invention sont soumises à des conditions spéciales. Quand on le sait, on n’éprouve aucun embarras en face d’une statue conçue comme un tableau. On ne s’évertue pas à deviner pourquoi une figure dont plusieurs parties révèlent un talent exercé ne laisse pourtant qu’une impression confuse. Ce qui convient au pinceau ne convient pas au ciseau. Toutes les fois que cette distinction est méconnue par la peinture ou la sculpture, nous avons devant nous un tableau, une statue qui nous étonnent par leur sécheresse, par leur complexité. Le tableau manque de vie, parce qu’il veut lutter avec le marbre ; la statue manque de simplicité, parce qu’elle veut lutter avec la couleur. Je regrette que nous