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ne possédions pas en France un moulage fidèle de la Sainte Thérèse du Bernin, car cette figure, qui est peut-être le meilleur ouvrage de l’auteur, prouverait plus clairement encore que les portes de Ghiberti les dangers de la sculpture pittoresque. Je n’ai pas besoin d’ajouter que je ne saurais établir aucune comparaison entre Ghiberti et le Bernin. La Sainte Thérèse, placée à Rome dans l’église de Sainte-Marie de la Victoire, est exécutée avec une rare habileté. Le masque, la poitrine et la draperie sont traités dans un style que je n’approuve pas, mais dont j’admire la souplesse. Or cette statue, qui blesse le goût, appartient à la sculpture pittoresque. Il n’est pas douteux pour moi que l’auteur n’ait voulu trouver dans le marbre ce que les pinceaux les plus exercés trouvaient dans la couleur. Il suffit de voir la Sainte Thérèse de Sainte-Marie de la Victoire pour comprendre les périls de cette doctrine.

Parmi les ouvrages envoyés cette année, un de ceux qui méritent la plus sérieuse attention pour le choix du sujet, pour la délicatesse de l’exécution, est signé du nom de M. Millet. Ce nom est pour nous un nom nouveau ; ce n’est là qu’un détail sans importance, mais il y a dans l’Ariane de quoi prouver que l’auteur a depuis longtemps puisé aux sources les plus pures, et s’il n’a pas encore conquis la célébrité, j’espère que la célébrité ne lui manquera pas. J’ai vu de lui aux Champs-Elysées, près de la barrière de l’Étoile, des caryatides très dignes d’éloges, que le public ne connaît pas et qui mériteraient d’être connues. En regardant ces figures, douées d’une véritable énergie, j’ai compris pourquoi le nom de M. Millet était ignoré. La foule est malheureusement habituée à regarder comme un travail sans importance la façade d’une maison. Ces caryatides seraient demeurées ignorées sans l’Ariane, qui appelle sur le nom de l’auteur une légitime attention. On veut savoir ce qu’il a fait avant de commencer son Ariane, car son dernier ouvrage ne peut être considéré comme un début. Il y a dans sa manière d’interpréter la forme quelque chose qui révèle une intelligence active, un œil exercé. Les épaules, le dos et les hanches sont des morceaux traités avec un soin particulier, et que les habiles ne désavoueraient pas. Je trouve dans ces morceaux une élégance supérieure à la réalité, je m’empresse de le reconnaître. Quant aux jambes et aux bras, quoiqu’ils ne soient pas dépourvus de mérite, ils ne valent pas, à mes yeux du moins, les épaules, le dos et les hanches. Malheureusement M. Millet n’a pas donné assez d’importance à l’expression de la tête. Il a voulu concentrer tout l’intérêt sur la beauté du corps, et je crois qu’il s’est trompé. Ce qui fait l’excellence du sujet qu’il avait choisi, c’est qu’Ariane, par sa nudité, se prête à tous les efforts du ciseau, et qu’en même temps,