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de l’étude de la réalité pour ne pas demeurer prosaïque : l’intention était excellente, mais le moyen choisi pour toucher le but n’était pas le meilleur. L’invention n’exclut pas la connaissance de ce qui est. On peut trouver l’originalité, le caractère poétique, sans ignorer la forme réelle, et cette dernière notion est même le point de départ le plus sûr. En procédant autrement, on s’expose à de graves dangers. Le groupe de M. de Mesmay suffit à le démontrer. Comme le regard ne peut suivre sous le vêtement la forme de la cuisse droite, la jambe du même côté qui se retire en arrière se comprend difficilement. Supposez que la draperie exprime la forme, tout devient clair, et la flexion du genou droit ne ressemble plus à une cassure. Je rends pleine justice au dessein qui anime l’auteur de cette figure, et c’est parce que son talent m’intéresse que je me crois obligé de lui signaler tous les périls de la voie où il s’engage. Travailler sans modèle est une mauvaise méthode : les plus habiles ne l’ont pas tenté ; M. de Mesmay fera bien de se régler sur leur exemple.

M. Jacquemart paraît avoir compris, et je l’en félicite bien sincèrement, tous les dangers de l’imitation littérale. Il a cherché cette année quelque chose de plus élevé. S’il n’a pas encore complètement réussi, du moins il se rapproche du but. Son Tigre à l’affût, son Lion déterrant un cadavre dont il aperçoit les pieds, n’étaient que des copies adroites, mais prosaïques. Le Lion de cette année, un Lion au repos, ne manque ni de grandeur, ni d’invention. L’auteur a senti qu’il ne suffisait pas de fréquenter la ménagerie pour lutter avec les œuvres de Barye, qu’il fallait encore ajouter comme lui le travail de la pensée au témoignage du regard. Je suis heureux de reconnaître qu’il a mis à profit les conseils que ses amis ne lui épargnaient pas. Le Lion de cette année est un grand pas de fait vers la vérité. La tête, la crinière, les épaules, les membres antérieurs, sont modelés avec puissance. Il y a dans ces morceaux une simplicité qui touche au caractère monumental. L’échine et les cuisses sont rendues avec habileté, mais ne méritent pas les mêmes éloges que la moitié antérieure de la figure, parce qu’elles sont trop fidèlement copiées. Cependant le progrès est évident, et c’est pour nous un bonheur de le signaler. M. Jacquemart s’est d’abord obstiné dans la voie qu’il avait choisie ; il a soutenu, l’ébauchoir à la main, que le bon sens était de son côté, qu’en dehors de l’imitation littérale il n’y avait que médiocrité. Aujourd’hui il vient à résipiscence, il reconnaît qu’il s’est trompé : il le reconnaît et prouve la franchise de sa conversion par une œuvre d’un caractère tout nouveau. C’est un meâ culpâ très suffisant, et nous aurions mauvaise grâce à ne pas nous en contenter. Que M. Jacquemart le sache bien, ce qui donne à son Lion de cette