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assistans ; il avait à s’assurer jusqu’au bout que la volonté du parlement n’avait rencontré aucun obstacle.

Quel était donc ce mort à qui, par exception étaient refusées les pompeuses funérailles dues à son rang ? Un ennemi de la république sans doute, un antagoniste acharné du lord-protecteur ? — En effet, cet homme était un des exilés des guerres civiles, un conspirateur acharné, un éternel agent d’intrigues hostiles, depuis qu’il avait cessé d’être un des plus dangereux cavaliers qui eussent combattu sous l’étendard royal. C’était le fameux lord Henry Wilmot, le prisonnier de Newburn, le vainqueur d’Edge-Hill et de Roundway, l’intrépide et entêté royaliste qui, fort injustement disgracié par Charles Ier, n’en était pas moins resté le plus fidèle serviteur de Charles II. Rien n’avait pu les séparer, ni le malheur, ni l’ingratitude, ni la honte, ni même le crime. Le lord Wilmot, — on disait ainsi, — avait vu son maître chassé de La Haye après l’indigne assassinat d’un ambassadeur de la république[1] ; il l’avait vu, retenu à Paris par une intrigue galante, oublier qu’une armée dévouée attendait en Irlande qu’il vînt la conduire au-devant de Cromwell. Il l’avait vu à Bréda (1650) se déshonorer en désavouant vis-à-vis du parlement écossais Montrose vaincu et mis à mort. Plus tard, après avoir trempé dans cette espèce de fuite par laquelle le jeune roi essaya de se dérober aux covenanters avec lesquels il venait de traiter, — escapade avortée que l’histoire a familièrement baptisée de son vrai nom (the start), — Wilmot, assistant au couronnement du roi d’Ecosse dans la vieille église de Scone (1er janvier 1651), entendit son maître prononcer des sermens abhorrés, dont pas un ne devait être tenu ; il le vit recevoir son sceptre des mains du duc d’Argyle, mains de rebelle, que teignait encore le sang de Montrose. Rien de tout cela n’avait ébranlé sa foi robuste, son dévouement à toute épreuve, et avant comme après Worcester, pendant le combat et pendant cette merveilleuse fuite de quarante jours que l’histoire raconte encore heure par heure, Wilmot et Charles II sont inséparables. Ils vont ensemble, la mort sur les talons, mais toujours de sang-froid, volontiers railleurs et presque sublimés à force d’insouciance, d’infatigable et tranquille énergie, de liberté d’esprit au sein des périls.

Ces périls, les misères, les dégoûts d’un long exil, ne découragèrent jamais Henry Wilmot, dont la fidélité obstinée mérite après tout, comme toute abnégation, même servile, une sorte de respect. Et l’on peut s’assurer maintenant qu’il avait bien gagné les titres,

  1. Le professeur Dorislaus, jurisconsulte éminent, poignardé, pendant son repas, dans une auberge de La Haye, par six des gentilshommes écossais qui suivaient les destinées errantes de Charles II.