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comté d’Oxford, ainsi que nous l’apprend une curieuse notice de Saint-Évremond adressée à la duchesse de Mazarin[1], John Wilmot vécut aussi paisiblement que si son père eût appartenu au parti dominant. Saint-Évremond nous parle sommairement de son « extrême docilité et de ses rapides progrès » accomplis sous la direction d’un savant ecclésiastique, le docteur Blandford, lequel fut successivement évêque d’Oxford et de Worcester. La sollicitude du futur prélat et la surveillance plus particulière d’un précepteur choisi parmi les fellows de Wadham-College (Rochester achevait ses études à l’université d’Oxford) n’empêchèrent pas l’écolier docile de devenir, jeunesse aidant, un étudiant assez dissipé.

Dès qu’il eut goûté « jusque dans les bras des muses, » — on devine que la périphrase n’est pas de nous, — les premières tentations des plaisirs qu’elles ne donnent pas, Horace, Virgile et leurs émules furent à peu près complètement abandonnés, et jamais peut-être leur jeune admirateur ne fût revenu à ces études brusquement interrompues, si sa mère, qui très sagement le fit voyager, ne lui avait donné un judicieux mentor, le docteur Balfour, qui, paraît-il, « le ramena aux auteurs classiques par la lecture préliminaire d’ouvrages conformes aux penchans dont il venait de faire preuve. » Faut-il croire qu’il s’agit de Catulle, Tibulle et Properce ? faut-il croire pis, évoquer Suétone, Pétrone, Apulée ? En tout cas, on peut se douter que le catalogue n’édifierait guère un lecteur moderne.

Ici, et au moment d’entrer en plein dans notre sujet, qu’on nous permette quelques mots d’explication. Quelque brillant qu’ait été pour ses contemporains le rôle de Rochester, s’il ne s’offrait à nous que comme un héros de la mode, aspirant par surcroît à la gloire des lettres, un débauché d’esprit, fameux par ses conquêtes et ses bons mots, mêlé, pour quelques épigrammes lancées ou subies, aux querelles des écrivains de son temps, il n’eût attiré qu’un moment nos regards : il eût été pour nous un de ces damnés de second ordre, foule confuse et vile sur laquelle Dante a jeté, comme un voile éternel, une de ses strophes dédaigneuses et farouches :

Non ragioniam di lor, ma guarda, e passa.
  1. Nous y noterons au début une double erreur assez singulière : « John Wilmot, y est-il dit, naquit… en l’année 1648, distinguée des autres années par deux événemens extraordinaires : le martyre du roi Charles Ier… et la naissance de milord Rochester, aussi éminent par son esprit et ses galanteries que l’infortuné prince par sa piété et ses sentimens religieux. » D’abord c’est en 1647, non en 1648, que naquit Rochester ; puis Charles Ier, — il est singulier que Saint-Évremond n’en ait pas gardé un souvenir plus exact, — a péri le 30 janvier 1649. Quant à la valeur philosophique du rapprochement risqué par notre faiseur d’antithèses, elle sera facilement appréciée ; nous ne nous y arrêterons pas.