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Non : Rochester fut autre chose qu’un courtisan vicieux et un poète ça et là vraiment inspiré. Ses sarcasmes obscènes et poignans, ses satires virulentes et scandaleuses touchent à l’histoire de son temps, et font de ce mignon de cour, rival hardi, rival heureux de son maître, le peintre fidèle, inexorable, d’un règne honteux entre tous. Par là son caractère se relève, par là ses poèmes nous intéressent et méritent qu’on les tire de l’oubli. Il a rampé dans cette fange dont l’avant-dernier Stuart avait rempli White-Hall, et sous laquelle semblent disparaître les traces du sang de Charles Ier ; mais il n’a pas succombé, débauché vulgaire, sous le poids abrutissant de l’ivresse, sous l’écrasement des voluptés. Il avait naturellement le cœur assez haut et l’esprit assez subtil pour n’être dominé qu’à demi par les influences énervantes auxquelles sa jeunesse fut exposée. Un secret ressort, même en ses plus mauvais jours, le fait réagir contre elles. Il ne s’assimile pas le poison, il le vomit à la face des empoisonneurs. Ce n’est point un sceptique avili qui doute de tout et méprise tout, même la vertu, même la justice ; j’aime mieux voir en lui un croyant désespéré qui, débordé par la corruption universelle et mêlé, par un caprice du sort, au cortège triomphal du mal victorieux, jette de temps en temps, comme une imprécation involontaire, une malédiction spontanée au milieu des chants de fête, des refrains bachiques, des hymnes serviles. Telle est l’originalité de Rochester, tel est l’enseignement qu’on peut, selon nous, dégager de sa vie et de ses ouvrages. Or sa vie est assez mal connue. Ses ouvrages, proscrits, à peu d’exception près, de toutes les collections, sont difficiles à rencontrer, même dans les plus secrets recoins des bibliothèques les moins exclusives. En les commentant avec quelque soin, en nous aidant des témoignages contemporains, qui confirment les censures violentes de Rochester et légitiment, autant qu’ils peuvent être légitimés, les excès de sa plume irritée, nous pouvons aspirer à mettre en relief une des plus terribles, une des plus salutaires leçons que donne l’histoire. Tout le monde sait, Dieu merci, comment l’anarchie engendre la servitude : moins de gens semblent se douter que l’exercice d’une autorité sans contrôle mène, par ses intolérables abus, à ces mêmes bouleversemens contre lesquels le rétablissement de cette autorité a paru souvent la plus sûre garantie.


I

C’est dans le courant de l’année 1664 que Rochester, à peine âgé de dix-huit ans, parut à la cour de Charles II. On était encore au début, je dirais presque au printemps de la restauration. Ce singulier