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savons à la merci d’une bouteille de trop, qu’elle vida parfois. Nous savons aussi que Thomas Thynne (l’ami de Monmouth, l’Issachar de Dryden), s’il venait à perdre tout son argent comptant chez la Castlemaine, serait homme à s’en aller, pour se refaire, détrousser les passans sur la bruyère de Hounslow ; mais si dans les Mémoires de Grammont chaque chose est indiquée, rien n’est formel, rien n’est précis que ce qu’on peut faire passer à l’aide d’une plaisanterie, mauvaise ou bonne. Ainsi Hamilton ne nous dira point par exemple que Charles II, un beau soir, en plein gala, conduit miss Stewart dans une embrasure de croisée, a où il la dévore de baisers une demi-heure durant à la vue de tous. » Il blesserait le décorum français du temps et de la cour de Louis XIV, décorum qui d’ailleurs n’empêchait rien, témoin la réconciliation du roi et de Mme de Montespan, si plaisamment racontée dans les mémoires du temps. Louis XIV conduit, lui aussi, sa maîtresse dans une embrasure de fenêtre : ils se parlent tout bas, on voit quelques larmes dans les yeux de l’un et de l’autre ; puis, après une révérence solennelle à l’assistance ébahie, ils vont continuer l’entretien dans un endroit plus propice aux effusions d’une tendresse renaissant de ses cendres.

Hamilton ne nous révélera pas non plus qu’au moment même où Charles II perdait en une seule soirée 2,500 livres sterling chez la Castlemaine, — et contre elle, bien entendu, — il n’avait ni chemises, ni argent, pour subvenir aux dépenses de sa garde-robe. Il ne vous dira pas, — toujours soigneux de certains dehors, — que ces deux altières rivales, la Castlemaine et la Stewart, se prenant un jour de querelle, la vidèrent sur place à coups de poing. Il se gardera bien de vous peindre un conseil de ministres où deux antagonistes politiques, emportés par la discussion, se renvoient d’insultantes grimaces et des gestes obscènes. S’il assiste par hasard à une séance de la pairie où les nobles lords se boxent en vrais crocheteurs, il leur gardera le secret très soigneusement, cet épisode de mœurs politiques n’ayant, après tout, ni sel ni grâce. De Coventry, membre du parlement, à qui, — pour le punir de ses libres censures, — une bande de courtisans en goguette va couper le nez, il n’en est pas question dans ses ingénieux Mémoires. Peut-être n’en serait-il pas question davantage dans l’histoire officielle du règne sans le bill pénal dont l’outrage fait à Coventry devint l’occasion, et qui porta le nom de ce malheureux franc-parleur. En toute matière touchant à l’autorité royale, Hamilton est d’une admirable réserve. Il sait bien que le ministre Arlington, courant un soir pour quelque affaire pressante à Saxham, où était le roi, l’y trouva trop ému par la boisson pour s’occuper des besoins publics, et ne put pas même obtenir audience ; mais il gardera pieusement ce secret. Il sait aussi