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demi-heure de contemplation, telle était à la grosse l’idée que je me faisais du musée de M. T…

C’est dans l’exécution de ces portraits que les peintres modernes montraient leur vulgarité et le peu de connaissance qu’ils ont de l’homme intérieur. À part quatre ou cinq toiles perdues dans la galerie, M. T… n’avait pas lieu d’être satisfait du masque dont l’avaient doué la majorité des artistes. Je ne sais vraiment ce que font les peintres de leurs yeux, car certains avaient pris leur modèle à rebours. Le jeune T… était représenté sémillant, chevaleresque, penseur, galant, spirituel, audacieux, profond, badin, les yeux vifs, sensuels, pétillans, despotiques, cruels, mourans, le geste pompeux, abattu, dominateur, colérique, charmant, tandis que le modèle ne possédait aucune de ces qualités. Même la couleur rousse de ses cheveux avait subi des transformations, comme si M. T… eût été se faire teindre chez une épileuse du Palais-Royal. Un peintre eut l’audace de représenter son modèle en jeune brun, aux allures provoquantes ; mais peut-être était-ce la volonté de M. T… !

Je croyais avoir passé en revue toute la collection, lorsque le propriétaire, d’un air mystérieux, ouvrit une porte que je n’avais pas remarquée, et m’introduisit dans une pièce à demi éclairée par un jour rougeâtre pénétrant à travers des rideaux de couleur pourpre. Cette salle recevait la lumière, comme un atelier, par le toit ; mais des stores d’une complication particulière me donnèrent à penser que j’allais assister à une exhibition intéressante. La décoration, d’un grand luxe, les murs tendus de velours, les barrières, en fer doré, qui ne permettaient pas d’approcher du tableau de plus d’un demi-mètre, certaines inscriptions dans des cartouches, faisaient de cette troisième salle une sorte de tribune imitée du musée de Florence, telle par exemple que le nouveau salon carré du Louvre.

Tout d’abord je fus frappé par un certain portrait crispé, d’une étrange peinture, qui ne pouvait venir que d’un célèbre peintre romantique dont on cite peu de portraits. Hamlet, Manfred, Faust, Lara, Olympio, se retrouvaient par quelque côté sur cette toile remarquable par de lointains rochers verts, qui donnaient une grande valeur (de ton) à la toque rouge que portait M. T…

L’illustre auteur de ce portrait, je le connais. Il est fin, spirituel, d’un commerce charmant ; homme du monde, il a su par une conduite diplomatique se faire commander d’immenses travaux qui révoltaient le goût des gens du gouvernement ; mais dans son atelier le peintre n’a jamais transigé avec son génie tourmenté : il peint ce qui lui plaît et non ce qui plaît aux autres. Incapable du moindre asservissement, pour obéir à l’idéal poétique, l’artiste n’a pas consenti plus de trois fois dans sa vie à faire un portrait. Par quelle habileté