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son cœur. Tout le livre est écrit ou plutôt conté d’un tour aisé et naturel, avec la rapidité d’un homme du monde, avec une pointe de malice qui n’atteint jamais à la méchanceté. Il semble entendre l’écho d’une fine et délicate causerie, alors que la jeunesse fait silence pour écouter quelque aimable et spirituel vieillard évoquant devant elle le passé. La société écossaise de la fin du XVIIIe siècle est là tout entière, avec ses travers et ses vertus. L’ouvrage que lord Cockburn appelait de ses vœux, il l’a fait sans le savoir, et nul ne pouvait peindre mieux que lui cette période de transition qui vit naître et grandir en Écosse la liberté politique, qui vit disparaître les mœurs et les idées d’autrefois sous l’influence de besoins et de devoirs nouveaux.

Edimbourg est aujourd’hui une ville toute moderne, régulière et bien bâtie, d’un accès facile, avec des rues droites et propres, des maisons bien blanches, des édifices publics corrects, des gares de chemins de fer spacieuses. On n’y trouverait plus un seul des nombreux bouquets d’arbres qui ornaient ses rues et ses places, il y a un demi-siècle, et à l’ombre desquels ont joué Brougham, Cockburn et Jeffrey. La promenade de Bellevue, les champs de lord Moray ont été remplacés par des quartiers tout neufs ; l’église de Tron, avec son clocher élégant, a disparu dans l’incendie de 1824 ; l’église de la Trinité, le seul édifice gothique que possédât Edimbourg, a été sacrifiée à un chemin de fer : la vieille prison, le Cœur de Midlothian, n’existe plus que dans le roman de Walter Scott. Tous ces changemens, dont chacun a arraché un soupir à Cockburn, grand ami des vieux arbres et des vieux édifices, ont transformé complètement la capitale de l’Écosse ; mais lorsque Cockburn y arriva tout enfant, le vieil Edimbourg était encore debout : c’était toujours la cité du moyen âge, avec le couvre-feu traditionnel, avec ses monumens riches en souvenirs, ses rues tortueuses, ses quartiers séparés les uns des autres par la nature, et plus encore par les mœurs. La noblesse habitait dans la Canongate ses demeures patrimoniales ; les hommes d’étude étaient groupés autour du collège, et les gens de loi autour de Parliament-House, devenu le temple de la justice. Chaque corps de métier, chaque genre de commerce étaient parqués dans une rue spéciale, et partout ailleurs aucun propriétaire n’aurait transformé en boutique le rez-de-chaussée de sa maison, sous peine d’incivilité envers ses voisins.

Le temps n’était plus sans doute où une pléiade d’écrivains éminens faisaient d’Edimbourg comme une nouvelle Athènes ; mais la haute école et le collège[1] conservaient une légitime renommée. La

  1. En anglais, les mots école et académie désignent un établissement d’enseignement secondaire analogue à nos lycées : le mot de collège s’applique aux établissemens d’enseignement supérieur tels que nos anciennes universités ou que les facultés actuelles.