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morale, — un singulier personnage. Il avait été dans sa jeunesse un bel homme, plein de courage. Chapelain de la Black Watch, les ordres positifs de l’officier commandant ne purent, dans un combat, le déterminer à demeurer à son vrai poste, à l’arrière ; il s’obstina à rester au premier rang. Le temps et la maladie ne l’avaient point épargné, et quand je le connus, il était curieux à voir. Sa chevelure était devenue blanche et soyeuse ; ses yeux étaient vifs et d’un bleu clair, ses joues semées de places rouges, comme des pommes d’automne, mais fraîches et saines ; ses lèvres minces et l’inférieure recourbée. Une violente attaque de paralysie avait diminué ses forces vitales, sans qu’il en parût rien au dehors, et il avait besoin d’une forte chaleur qu’il entretenait artificiellement. Aussi son habillement consistait en des demi-bottes garnies de fourrures, des culottes de drap, un long gilet de drap retombant sur les cuisses et muni de vastes poches, un habit droit, un pardessus de drap garni de fourrures et un chapeau de feutre habituellement attaché sous le menton par un ruban. Ses bottes étaient noires ; mais, à cette seule exception près, tout ce qu’il portait était de la couleur grise affectionnée par les quakers, ou d’un brun clair. Il gardait presque toujours son pardessus fourré, même à la maison. Quand il sortait, il prenait un énorme bâton, qu’il tenait habituellement à la longueur du bras, mais sur le côté, et ses deux- habits, boutonnés tous les deux à la première boutonnière et flottant au vent, laissaient voir sa vénérable et curieuse personne. Sa démarche et son air étaient nobles, son geste lent, son regard plein de dignité et d’un feu contenu. On eût dit un philosophe venu de Laponie. Sa paralysie aurait dû le tuer à l’âge de cinquante ans ; un régime rigoureux lui permit de vivre cinquante autres années, sans aucune infirmité de corps ni d’esprit. Le vin et les viandes ne le tentaient plus ; mais il faisait disparaître d’énormes quantités de lait et de légumes, toujours sans quitter son pardessus fourré. Dans son intérieur, il était bon, mais inquiet et taquin. La température de la maison était réglée par Fahrenheit, et souvent, étant assis comfortablement dans son fauteuil, il lui arrivait de se lever tout à coup et de mettre sa femme et ses filles en émoi, parce que ses yeux étaient tombés sur le thermomètre et qu’il y avait dans l’appartement un degré de plus ou de moins que la règle ne voulait. Il fermait toujours la porte de son cabinet quand il sortait, et en mettait la clef dans sa poche. Aucun domestique n’y pénétrait à moins que l’accumulation de la poussière et des débris ne permît pas de reculer plus longtemps le jour fatal ; alors malheur à toute la famille ! Il nous dit adieu un jour d’été en 1793 ; il partait dans la plus étrange des berlines et sans autre compagnon que son domestique James, pour visiter l’Italie en vue d’une nouvelle édition de son histoire. Il avait alors à peu près soixante-douze ans, et il lui fallait traverser toute sorte de pays ravagés par la guerre : il revint au bout d’une année plus jeune que jamais. »


Ces savans hommes, dont toutes les heures avaient été données au travail et à la méditation, et dont la vie s’était écoulée pure de toute tache, ne mouraient pas : ils s’éteignaient doucement, et comme des lampes où l’huile vient à manquer.