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peut-être, mais mobiles et pleines d’expression. Sa voix était singulièrement agréable, et, grâce à sa façon de la conduire, une légère aspiration en adoucissait encore les tons. Son oreille était merveilleusement juste, qu’il s’agît de chanter ou de parler, et je n’ai point entendu de lecteur plus accompli. Son geste était simple et élégant, mais avec une nuance de solennité qui tenait à la profession. Ses manières étaient celles d’un universitaire bien élevé.

« Il n’avait point de génie ni même d’originalité ; le caractère de son intelligence était le calme, la réflexion et une grande justesse d’esprit. Les mathématiques, qui avaient fait d’abord l’objet de son enseignement, avaient pu rectifier ses raisonnemens : elles ne glacèrent jamais la chaleur de ses démonstrations morales. Il était profondément versé dans les matières qu’il traitait, il possédait à fond la littérature et l’histoire de la philosophie, et il préparait avec soin ses leçons. La dignité de l’homme et du savant ennoblissait chez lui plutôt qu’elle ne comprimait un vif penchant pour une gaieté douce et discrète. Le savoir, l’intelligence et la réflexion ne suffisent pas pour s’élever à la perfection de l’éloquence didactique. Dugald Stewart devait sa puissance oratoire à d’autres qualités que dédaignent souvent ceux qui visent à l’éloquence sans y atteindre : on trouvait chez lui un caractère irréprochable, le dévouement à la science, un goût exquis, une imagination enrichie des trésors de la poésie et de l’art oratoire, des opinions libérales, et la plus haute moralité.

« Ces qualités ne pouvaient manquer de féconder un esprit naturellement éloquent. Ajoutez qu’il évitait certaines questions en rapport avec son sujet, et qui, traitées avec sécheresse, ont souvent rendu la philosophie répulsive. Stewart touchait aussi peu que possible à la métaphysique, fuyait les détails, et reculait avec une horreur quelquefois plaisante devant toute polémique. Il fuyait les distinctions subtiles, les théories ambitieuses et la controverse pour s’en tenir à des thèmes plus appropriés à son talent : la constitution de notre nature matérielle et morale, les devoirs et la fin de l’homme, les relations de la vertu avec le bonheur. En traitant ces questions, il était dans son élément naturel, et il savait les féconder par un judicieux emploi de l’histoire et un choix de citations singulièrement heureux. Son goût exquis purifiait et élevait tout, grâce non-seulement à l’habileté avec laquelle il faisait valoir tout ce qui est séduisant dans la nature et dans l’art, mais surtout grâce à cette noblesse de cœur qui charmait et pénétrait de respect ses auditeurs, qui était la cause principale de son succès, et faisait dire à Mackintosh que Stewart inspirait à des générations entières l’amour de la vertu.

« Les leçons de Stewart furent pour moi comme l’ouverture du ciel. Je sentis que j’avais une ame. Ses nobles pensées, exprimées dans le plus beau langage, me transportaient dans un autre monde. Stewart a mérité d’être mis au premier rang des orateurs didactiques. Venu à une époque où il faut toute la puissance de la morale pour faire contre-poids aux appétits matériels et aux passions révolutionnaires, il a élevé le caractère de son pays et de sa génération. Nul de ses élèves n’a cessé de respecter la philosophie et n’a trahi ses convictions sans sentir sa faute aggravée par le souvenir des enseignemens qu’il avait reçus de Stewart. »