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plus d’une fois témoin, et c’était une remarque commune que le soir le cortège marquait bien moins exactement le pas que le matin. »

On est invinciblement tenté de prendre ces détails pour autant de satires : on se tromperait pourtant. Si lord Cockburn met un peu de malice dans les portraits qu’il trace, il n’y met ni malignité ni mauvaise foi. Il était en bons termes avec tous les hommes dont il parle, et quelques-uns, lord Hermand par exemple, étaient étroitement liés avec sa famille. En racontant leurs écarts, il rend justice à leur savoir, à leurs lumières, à leur probité. Il faut se souvenir qu’il s’agit d’un temps où l’on était rigoureux sur bien des points qui nous paraissent aujourd’hui indifférens, mais où le sentiment des convenances de chaque profession était beaucoup moins développé, où les chapelains des vaisseaux, par exemple, s’excusaient de jurer à chaque mot, attendu que c’était le seul moyen de se faire écouter des matelots. L’opinion publique, cette législatrice suprême que personne ne peut braver aujourd’hui, n’existait point alors, et ne pouvait traduire à son tribunal les hommes que leur rang et leurs fonctions élevaient au-dessus de la foule ; la publicité n’exerçait pas sur eux ce contrôle si importun, mais si salutaire à ceux qui en sont l’objet. N’ayant nulle idée qu’on pût leur demander compte de leurs façons d’agir, et affranchis de toute appréhension du blâme public, les gens haut placés donnaient un libre cours à leurs fantaisies, et les magistrats, en particulier, se laissaient facilement aller à ce cynisme de langage et de manières, à ces habitudes impérieuses et à ce dédain de l’opinion que développent trop aisément chez eux l’absolutisme et l’irresponsabilité de leurs fonctions. Quand ils parcouraient l’Ecosse en tournée d’assises, ils ne voulaient se rendre au prétoire qu’entre deux haies de soldats : ils tenaient les jurés debout pendant leurs allocutions, même quand elles duraient plusieurs heures ; ils rappelaient à l’ordre l’avocat qui substituait le ton de la conversation à celui de la harangue, — le tout au nom du respect dû à la justice. Il ne venait à la pensée d’aucun d’eux qu’il fût tenu au moindre respect envers le public. Ils s’abandonnaient à leurs humeurs et à leurs bizarreries, et ne reculaient devant aucune excentricité. Lord Cockburn raconte de quelques-uns d’entre eux les anecdotes les plus étranges. Lord Eskgrove fit pendant de longues années l’amusement de la ville d’Edimbourg par ses caprices, ses manies et ses ridicules. Avant de publier le Lai du dernier Ménestrel, Walter Scott s’était déjà fait une réputation par le talent avec lequel il contrefaisait les singularités du chief justice.

La magistrature, le barreau tiennent une très grande place dans le livre de lord Cockburn, et ce n’est point uniquement l’effet d’une préoccupation bien naturelle chez un ancien avocat. Depuis que l’Ecosse