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de tous les instans. Une vingtaine, appartenant aux premières familles d’Edimbourg et aux professions libérales, poussaient la hardiesse jusqu’à se réunir à dîner tous les ans, le jour de la naissance de Fox : ils étaient sûrs de trouver à la porte de la taverne des agens de police qui prenaient par écrit les noms de tous ceux qui entraient. Il arriva une fois qu’un des convives eut besoin de sortir de bonne heure : il trouva dans la pièce voisine le shériff et le professeur de droit civil Hume occupés à écouter ce qui se disait dans la salle du banquet. L’inoffensif recteur de la haute école, Alexandre Adam, était complètement étranger à la politique ; mais, admirateur passionné de l’antiquité, il avait sans cesse à la bouche les grands noms d’Athènes et de Rome : il lui arrivait de parler des républiques de la Grèce et de l’expulsion des Tarquins. Il n’en avait pas fallu davantage pour le rendre suspect, et l’on interrogeait fréquemment ses élèves pour le prendre en flagrant délit de jacobinisme. Lorsque George Cranstoun, qui devait être l’honneur de la magistrature écossaise, demanda à être admis au barreau, le professeur de droit civil Hume se rendit chez lui et lui présenta à signer une adhésion explicite à la politique du gouvernement et aux principes tories. Les jeunes avocats, qui refusaient, comme Cranstoun, de donner ce gage au parti dominant, étaient aussitôt signalés comme des esprits dangereux ; ils étaient l’objet de l’animadversion des juges, qui ne leur épargnaient ni les sarcasmes ni les rebuffades, et les attorneys se gardaient de leur confier une cause. Les médecins étaient sûrs de n’avoir d’autres patiens que ceux que la misère leur amenait : les ministres n’avaient à attendre aucun bénéfice ; les savans se voyaient frappés d’exclusion, et les chaires qui avaient fait l’objet de leur ambition étaient données à des rivaux obscurs, mais bien pensans. Atteints dans leurs espérances d’avenir, ces réprouvés étaient poursuivis jusque dans leur vie privée. Leurs parens rompaient avec eux, les maisons où ils avaient été les plus familiers leur étaient brusquement fermées, et leurs plus anciens amis affectaient de ne les plus reconnaître.

Si telle était l’oppression qui pesait sur les professions libérales, que dire des autres carrières ? Les artisans, au dire de Braxfield, n’avaient pas plus le droit d’avoir une opinion que le bœuf qui traîne la charrue ; ils n’étaient que des brutes avec une âme. Le commerçant qui se serait avisé de se déclarer whig aurait été ruiné du coup ; il aurait vu ses cliens le quitter, et son crédit eût été perdu. Les banquiers, désireux d’être chargés des paiemens du gouvernement, rivalisaient de zèle politique, et réservaient leurs préférences et leur appui pour les partisans des bons principes. Lorsque les whigs commencèrent à relever la tête, ils furent obligés d’établir,