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insu, à un poste important, dans l’espoir que l’âge et la possession du pouvoir auraient sur lui leur influence ordinaire. Cockburn n’avait été que plus ardent à soutenir ses principes, et s’était attaché à mériter une destitution ; mais ce n’était pas seulement ce sacrifice qui le recommandait à l’estime et à la considération de ses amis. Au barreau, il n’avait de supérieur qu’Erskine, et d’égaux que Jeffrey et James Moncreif. Il avait une voix vibrante, un geste parfait, une merveilleuse facilité d’élocution, une parole claire, nette, rapide, et le don de remuer les âmes. Il savait toucher toutes les cordes, depuis la plus irrésistible gaîté jusqu’au pathétique le plus touchant, jusqu’à l’indignation la plus véhémente. Les émotions qu’il produisait étaient d’autant plus vives qu’il semblait les partager lui-même, et que le jeu de sa physionomie, sa voix, son geste, étaient en harmonie avec ses paroles. Ses plaidoyers pour Stuart de Duncarn et pour Hélène Mac Dougal lui valurent deux triomphes judiciaires demeurés mémorables dans les annales du barreau écossais.

Cette brillante pléiade, à laquelle il faudrait ajouter Dugald Stewart, John Playfair, sir Harry Moncreif, le plus éloquent et le plus considéré des ministres presbytériens, était plus redoutable par le talent que par le nombre : elle n’avait aucun moyen d’action en face d’un parti qui disposait de toutes les ressources que peuvent donner la richesse, l’influence et la longue possession du pouvoir. Et pourtant l’avantage devait lui rester. L’histoire de cette lutte n’est pas le côté le moins intéressant du livre de lord Cockburn ; on y voit combien est irrésistible la contagion de la liberté. La persécution dont tous ces jeunes gens furent l’objet eut pour premier effet de les attacher plus étroitement les uns aux autres et de leur inspirer un dévouement mutuel qui centupla leur force. Elle les contraignit à se replier sur eux-mêmes, à se surveiller avec soin, et leur donna une maturité précoce. Avocats sans cliens, médecins sans malades, ministres sans paroisses, professeurs sans chaires, ils n’eurent d’autre ressource que le travail et l’étude, et ils se trouvèrent bien vite les plus savans, les plus habiles, les plus éloquens de leur génération. Par leur fidélité à leurs principes, ils conquirent l’estime même de leurs adversaires ; par leur conduite irréprochable, leurs vertus privées, leur désintéressement et leurs talens, ils inspirèrent une sérieuse et croissante sympathie. S’encourageant mutuellement à persévérer, s’entr’aidant les uns les autres dans leur honorable et fière pauvreté, se soutenant avec une chaude et généreuse camaraderie, ils arrivèrent à se faire peu à peu leur place, chacun dans la sphère de ses aptitudes, et avant d’atteindre à la fortune, ils étaient en possession de la considération universelle.

Le lien qui les unit tous fut la Revue d’Edimbourg, créée et rédigée