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sur la législation, elle laissa dans l’opinion une trace profonde. Elle fut suivie aussitôt de la présentation de deux pétitions semblables, émanées, l’une de Glasgow, l’autre de Manchester. Un homme d’état qu’on vit toujours prêt à soutenir les idées libérales, lord Lansdowne, aujourd’hui le doyen vénéré du parti whig, fit, sous la même impulsion, pour son compte personnel, une proposition semblable à la chambre des pairs le 26 du même mois de mai. La conséquence de tout ce mouvement fut que chacune des chambres du parlement nomma une commission d’enquête qui fit un rapport accompagné de témoignages étendus, et peu après un homme dont la mémoire est chère aux amis des doctrines libérales, Huskisson, devenu ministre, commença l’application du principe destiné non-seulement à favoriser les échanges internationaux, à resserrer par les liens du commerce la paix du monde, mais encore à faciliter l’extension du bien-être parmi les diverses branches de la famille humaine, et surtout parmi les populations ouvrières. M. Tooke parle de cette époque, et de la pétition qui donna le branle, avec la fierté naïve d’un vieux soldat ; il a raison : heureux l’homme qui, sur la fin de sa carrière, peut, dans sa conscience, se rendre à lui-même un pareil témoignage ! Il est assuré d’avoir, dans les annales des progrès du genre humain, cette ligne glorieuse que tant de grands hommes éphémères poursuivent vainement en faisant du fracas.

Retraçons rapidement la marche des événemens depuis lors.

En 1824, 25 et 26, Huskisson fit voter d’importantes réductions de droits et lever des prohibitions, entre autres celle qui atteignait les soieries. À cette occasion, on vit ce qui s’est passé depuis dans d’autres pays, lorsqu’il a été question de remplacer la prohibition même par des droits élevés. Les fabricans de Londres, de Taunton et autres lieux pétitionnèrent avec ardeur, à peu près comme aujourd’hui chez nous les filateurs du Nord et de la Seine-Inférieure, afin que la prohibition fût perpétuée, ou maintenue indéfiniment. C’était, disaient-ils, le seul moyen de détourner d’eux une ruine complète. Ils arguaient en quelque sorte d’une prétendue imbécillité nationale qui devait rendre désastreuse la concurrence avec l’étranger, quels que fussent les droits substitués à la prohibition, de même que c’est la mode chez nous aujourd’hui, parmi les mêmes manufacturiers, qu’on voit cependant revendiquer les premières distinctions aux expositions universelles, de soutenir, lorsqu’ils ont la tête couronnée des lauriers que leur a décernés le jury, qu’ils sont absolument incapables de résister à la concurrence étrangère, quels que soient les droits dont on frappe à la frontière les produits de leurs émules du dehors ; c’est pourquoi ils demandent la prohibition absolue. Mais le parlement, persuadé qu’il n’y avait aucune raison pour qu’on ne fît pas bientôt les tissus de soie aussi bien au nord de la Manche qu’au