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midi, et trouvant déplacé l’argument de l’imbécillité britannique, n’écouta pas les pétitions. Et pourtant l’une d’elles était présentée et recommandée avec les plus vives instances par un homme éminent à, beaucoup de titres, et qui devenait ici un adversaire formidable, car c’était le même M. Baring qui, en 1820, avait apporté au parlement la pétition de la Cité de Londres. Cédant à un sentiment d’humanité peu éclairé, je regrette de le dire, ou peut-être entraîné par l’esprit d’opposition, il représenta au parlement qu’il y avait des centaines de milliers de pauvres et honnêtes gens qui ne savaient pas un mot d’économie politique, mais qui étaient de bons travailleurs, et qui, par les obsessions de cette science de fraîche date, seraient dépouillés du prix de leurs sueurs, du moment qu’il n’y aurait plus qu’un droit de 30 pour 100 pour les garantir du choc de la concurrence étrangère. La chambre consentira-t-elle, ajoutait-il, à une mesure qui aura pour effet de mettre la population ouvrière, jusqu’à présent nourrie par l’industrie des soieries, à la charge de la taxe des pauvres ? Lorsque le manufacturier français aura manifesté sa supériorité, que feront, pour les ouvriers les principes de M. Huskisson ? Comment la conscience de cet homme d’état s’accommodera-t-elle d’un système qui aura complètement ruiné et affamé ces centaines de milliers de personnes ? Un autre orateur, parlant des hommes qui cultivent l’économie, politique et qui y croient, s’exprima avec le plus profond dédain ; il les appela des métaphysiciens sans cœur, des théoriciens impitoyables, et assura que Satan lui-même avait moins de mépris pour le bonheur du genre humain.

Dans ces discours, remplacez l’Angleterre et les Anglais par la France et les Français ; à la place de l’industrie des soieries, mettez l’industrie cotonnière, et vous aurez le sens ou plutôt le texte même des discours avec lesquels, il y a un an, on est parvenu à agiter quelques-uns de nos départemens manufacturiers, particulièrement le Nord et la Seine-Inférieure, à ce point que le gouvernement lui-même s’en est profondément inquiété, et a jugé à propos de retirer le projet de loi portant la levée des prohibitions, projet qui importait à l’intérêt public, à l’avancement de nos industries et à la considération même du nom français, car tout peuple dans le tarif duquel la prohibition occupe une grande place (et dans le nôtre elle est la règle à l’égard des produits manufacturés) essaiera vainement désormais d’échapper à la qualification de retardataire et de routinier.

Mais toutes ces objurgations des prohibitionistes anglais, mais toutes les sinistres prophéties dont ils se rendaient les organes n’ébranlèrent ni Huskisson, ni ses collègues, ni la majorité du parlement. La proposition de Huskisson fut votée, et depuis lors que s’est-il passé ? Sous un droit de 30 pour 100, que Robert Peel plus tard mit à 15, l’industrie des soieries britanniques a-t-elle dépéri ? est-elle