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des êtres ; suivant lui, il y a au contraire plusieurs plans organiques entièrement distincts ; comme un architecte emploie des ordres divers, la nature semble avoir voulu travailler sur des types ou modèles différens, et les grandes divisions naturelles établies, sous le nom d’embranchemens, par les naturalistes, loin d’être des conceptions artificielles, ne font que répondre à cette diversité. M. Agassiz n’accepte pas non plus la théorie du développement graduel des êtres fondée sur la transformation des espèces. À l’époque où il habitait encore l’Allemagne, il penchait vers cette doctrine ; mais aujourd’hui on ne pourrait trouver chez aucun naturaliste une croyance plus profonde et plus vigoureuse à l’immutabilité absolue des espèces. Nous en avons la preuve dans cet extrait d’une lettre écrite à propos de la découverte de poissons sans yeux dans une caverne, en 1842 : « Pour ma part, je crois que les animaux aveugles de la caverne ne montreraient d’organes de la vue que pendant la période embryonique, en conformité avec le développement normal des types respectifs auxquels ils appartiennent. Je crois même que, placés sous l’influence d’une lumière modérée, incapable de les injurier, mais suffisante pour favoriser le développement des yeux dans les espèces alliées qui en possèdent, les jeunes des espèces particulières à la caverne deviendraient graduellement aveugles, tandis que les autres pourraient acquérir des yeux parfaits ; car je suis convaincu, par tout ce que je sais de la distribution géographique des animaux, qu’ils ont tous été créés pour les circonstances où ils vivent actuellement, placés dans les limites entre lesquelles ils ont été distribués, et avec les particularités de structure qui les caractérisent aujourd’hui. » On ne saurait heurter plus hardiment de front l’opinion des naturalistes qui, à la suite de Lamarck, admettent que les organes des animaux se développent ou s’atrophient suivant les circonstances, et que les forces mystérieuses qui président à la vie demeurent soumises, dans une certaine mesure, aux nécessités changeantes que leur impose la nature inorganique. M. Agassiz professe, relativement aux faunes anciennes, la doctrine absolue qu’il applique à la faune actuelle. Chaque fois, selon lui, qu’une création nouvelle a repeuplé la terre, la structure et la répartition des animaux ont été déterminées par la puissance créatrice elle-même : chacun d’eux a été pourvu d’attributs invariables, en rapport avec la fonction et la place qui lui étaient assignées, et les a transmis sans altération à tous ses descendans, jusqu’au jour où une destruction radicale de tous les êtres est venue mettre fin à cette ère d’harmonie et de stabilité organiques.

Pour combattre la doctrine de la transformation des espèces, on a l’habitude de ne chercher des preuves que dans la nature aujourd’hui