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Le médecin du canton fit tous ses efforts pour m’engager à me distraire par une occupation quelconque, mais j’étais incapable de m’appliquer à aucun objet, et je sentais dans ma tête comme une roue de moulin. Un jour que le vertige était plus fort que de coutume, j’essayai de fixer mes yeux sur un point donné, et mon regard tomba sur une théière dont les signes éveillèrent subitement mon attention. Quels singuliers signes ! dis-je, et pendant que je les contemplais, je sentais mon vertige s’apaiser et le calme renaître en moi. Je détournai mes regarda ; soudainement le vertige recommença, et j’entendis comme une voix qui me criait : — Les signes ! les signes ! accroche-toi aux signes, ou tu es perdu. — Dès lors une seule idée me préoccupa ; quelle fantaisie bizarre avait donné naissance à ces signes ? J’avais trouvé une occupation ; je comparais incessamment les signes d’une porcelaine aux signes d’une autre, et je les trouvai identiques, quoique différemment disposés. Cette différence d’agencement indiquait un dessein particulier. Assurément ces hiéroglyphes signifient quelque chose ; mais que signifient-ils ? , Alors ma curiosité fut éveillée, et je désirai ardemment savoir, la signification de ces inintelligibles ornemens, d’autant plus que mon médecin, consulté par moi, m’encouragea dans cette recherche, et me recommanda comme remède l’étude des signes. Un jour, me trouvant, dans une ville voisine, je m’arrêtai près d’une boutique où l’on vendait du thé, et je fus surpris de voir que les caisses et les vases qui le contenaient étaient ornés des mêmes signes qui me préoccupaient si fort. — Les meilleurs thés viennent de la Chine, dit une voix à mes côtés ; je me retournai, et je vis le marchand debout sur le seuil de sa boutique. Du véritable thé chinois, ajouta-t-il ; peut-être monsieur me fera-t-il l’honneur de l’examiner. — Je lui répondis que je n’avais pas besoin de thé, mais que je serais heureux, d’apprendre ce que voulaient dire ces signes qui encadraient les peintures de ses caisses et de ses vases. — Ce sont des lettres chinoises, répondit-il ; elles expriment sans doute quelque chose, mais je ne saurais trop dire quoi. Permettez-moi de vous vendre cette livre de thé, ajouta-t-il en me tendant un petit paquet enveloppé. L’enveloppe contient un exposé du système d’écriture des Chinois, que je distribue gratuitement afin de corriger l’ignorance gothique qui règne, dans le district à ce sujet. — J’avais fait enfin un pas ; je savais maintenant que les signes exprimaient des mots. Une seconde visite au marchand me rendit possesseur de quelques porcelaines qu’il me vendit fort cher, mais que je ne marchandais pas en considération du grand service qu’il me rendait. J’écrivis à Londres pour me procurer une grammaire et un dictionnaire chinois, et j’éprouvai un certain désappointement en apprenant qu’il n’existait dans la langue anglaise