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dont certaine satire intitulée énergiquement Laïs Junior nous paraît le plus complet résumé. On y peut voir que nous sommes loin d’avoir complété la liste des rivaux donnés à Charles II par la première en date de ses favorites. Parmi les athlètes que cette rivale de Messaline aurait honteusement expulsés de la lice figurent aussi Monmbuth, Cavendish, Henningham, Car-Scroope et deux ou trois autres encore, désignés cavalièrement par leurs noms de baptême.

Nell-Gwynn était une tout autre femme que la Cleveland. Blonde et potelée, figure d’enfant, regard candide, parures toujours un peu désordonnées et débraillées, elle fut de toutes les maîtresses royales la moins orgueilleuse et la plus obscure, la plus inoffensive, la plus désintéressée, la plus populaire. On l’insultait, il est vrai, mais son sang-froid bon enfant désarmait l’outrage : c’est elle qui, voyant un de ses laquais se colleter avec un passant brutal, lequel s’était permis de la qualifier sans ménagement, s’écriait, penchée à la portière : « Laissez-le donc, Tom. Le pauvre diable n’a dit que la vérité. » C’est encore elle qui conseillait au roi, fort inquiet de son impopularité croissante, comme le meilleur moyen de ramener les cœurs à lui, « le renvoi de toutes ses maîtresses. » Les Anglais n’ont pas oublié que l’hôpital où vont encore aujourd’hui s’abriter les invalides de leur armée ne s’acheva, sous Charles II, que grâce aux supplications de « Mme Nelly. »

À son égard néanmoins, Rochester fut impitoyable. Il a trouvé pour elle des insultes que Martial lui-même n’aurait peut-être pas osé risquer, entre autres l’inscription qu’il plaça au bas d’un portrait d’elle. Jamais l’hyperbole grecque ou latine n’avait atteint ce degré de fureur, cette énormité de licence[1]. Nous lui devons aussi d’étranges révélations sur les débuts de Nelly.

This anointed princess, madam in Nelly
Whose first employmient was, with open throat
To cry fresh herrings ! even ten a’ groat !
Then was, by madam Ross, exposed to town, etc.

Ici, et pour cause, nous nous bornons à citer. D’après ces détails d’une précision désespérante, il faudrait renoncer à ce peu de poésie que le métier d’orange-girl aurait pu laisser sur la jeunesse de Nell-Gwynn. Les fruits parfumés se changent tout à coup en poissons infects. La gentille fruitière est crieuse de harengs. Rochester a-t-il dit vrai ?… Nous n’oserions le contester en forme, mais nous devons à la malheureuse qu’il insulte ainsi le bénéfice des explications qui peuvent être opposées à ces dires peut-être calomnieux. Or le dernier biographe de la séduisante grisette nous raconte « qu’après

  1. Rochester’s Works, éd. 1739, p. 112.