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a donné naissance. Les actes de dévouement et de valeur personnelle accomplis par la chétive armée finlandaise, sous les ordres de quelques chefs courageux, au milieu de ses forêts et de ses lacs, l’histoire générale a pu ne les pas enregistrer, mais la poésie nationale les a recueillis. En face d’une cruelle invasion et d’une armée ennemie dix fois supérieure à l’armée suédoise, qui était découragée et presque sans direction, il est clair que la défense du pays, celle des foyers, des berceaux et des tombes, était confiée à tous les bras finlandais capables de porter, à défaut de fusils, la pioche, la faux ou le bâton. Cette ressource suprême ne manqua pas à la pauvre Finlande, et enfanta des héros. Runeberg ouvre son livre en célébrant ces vertus anonymes ; le Frère du Nuage vit encore aujourd’hui dans la mémoire des Finlandais reconnaissons ; la Fille du Hameau personnifie la passion énergique et contenue de la femme du Nord ; le Vétéran, ainsi que les Deux Dragons, prennent aussi place à bon droit dans cette galerie populaire, d’où le poète ne veut exclure aucun homme de cœur, qu’il combatte au nombre des vainqueurs ou parmi les vaincus, témoin l’éloquent morceau qui est intitulé le Guerrier mourant.


LE FRÈRE DU NUAGE.

« Sur la hauteur, parmi les bois sauvages, loin des grands chemins où depuis l’automne règne le tumulte des armes, il y a une pauvre cabane dont l’ennemi a ignoré le sentier. Le corbeau criant dans les nuages, le milan qui revient rassasié se balancer au sommet des pins, le loup cherchant à travers la bruyère une retraite pour y cacher quelque sanglant débris, ont été pour elle les seuls messagers du meurtre et de la guerre qui s’agite en bas.

« C’est le samedi soir. Dans sa pauvre chaumière, le paysan soucieux est assis ; il se repose du travail de la semaine, le front appuyé sur sa main, un bras allongé sur la table ; mais son regard inquiet se détourne fréquemment. Son fils adoptif et sa fille, seuls avec lui dans la cabane, ne remarquent pas son inquiétude ; assis près de la muraille, les bras entrelacés, la main dans la main, la tête penchée l’un vers l’autre, ils sont muets, calmes, heureux.

« Enfin le vieillard rompit le silence, et pour celui qui sut le comprendre ses paroles furent significatives. Il chantait comme par passe-temps, mais il disait : L’ours est né pour être le roi des forêts ; le sapin croît pour orner la bruyère ; mais l’enfant de l’homme est-il né pour la force et la grandeur, ou pour la vanité et la poussière ? Nul ne le sait. — Je l’ai vu venir enfant, un soir d’hiver, dans ma cabane, égaré comme l’oiseau sauvage dans l’habitation des hommes. Sa tête était nue, ses pieds nus dans la neige ; à travers son vêtement déchiré, on voyait sa poitrine. — Qui es-tu et d’où viens-tu ? — Demande qui il est et d’où il vient au riche, qui a un père et un foyer. D’où je viens ? Peut-être le vent le sait, lui qui pousse ce nuage que je puis appeler mon frère. Qui je suis ? Je suis comme la neige qui tombe des pieds de la nuit au seuil de ta cabane. — Mais, comme la neige, il ne disparut pas ; comme son frère le nuage, il ne fut point emporté par le vent. L’enfant resta et devint jeune homme. Une année se passa, une seconde, et déjà sa hache abattait des arbres dans la forêt ; avant la fin de son quatrième été, il avait tué un ours qui menaçait le troupeau. Que fait-il à présent de sa renommée,