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comme le vent de la nuit, et plus blanches que le nuage à l’horizon étaient ses joues froides.

« Prépare ma tombe, ô ma mère ! Les jours de ma vie sont finis. L’homme auquel mon cœur avait donné sa foi, emportant sa honte, a fui du combat ; il a pensé à moi, à lui ; il a suivi tes conseils ; il a trahi ses frères et la terre de ses pères !

« Quand ils revinrent sans lui, je pleurai son sort. Je le croyais étendu, comme un homme, parmi les morts. Je versai des larmes, mais mon chagrin était doux alors ; j’aurais vécu mille ans pour le pleurer. « O mère ! aux dernières lueurs du jour, je l’ai cherché parmi les morts, mais aucun de ceux qui sont couchés là-bas n’a les traits que j’aimais. Je ne veux plus habiter sur cette terre où j’ai été trompée. Il n’était point parmi les morts, et c’est pourquoi je veux mourir. »


LE VÉTÉRAN.

« Il se lève tout à coup dans le coin de sa pauvre cabane. Sous le poids des années, il paraît encore de haute taille. En ce moment d’ailleurs, il est tout changé ; son allure est fière, sa physionomie belliqueuse.

« Humble vétéran dans ses vieux jours, il n’a retiré de ses anciens et rudes combats que des cicatrices ; puis, sans foyer, il a erré longtemps avant de rencontrer un port.

« Il se lève tout à coup, comme éveillé d’un long sommeil. Il ôte sa casaque usée de tous les jours, endosse l’habit de fête soigneusement réservé depuis de longues années, et dispose avec attention de chaque côté les boucles argentées de ses cheveux.

« Le voilà prêt. Il sort de sa cabane. Il est beau à voir avec son habit bleu aux paremens jaunes, son shako à plaque de cuivre, son bâton de voyage, et ce calme de mort répandu sur toute sa personne.

« C’est le 17 août. Le soleil, caché depuis quelque temps, brille de nouveau. Voici un beau jour d’été ; la terre et les eaux sont caressées de douces haleines : Où va-t-il, le vieux soldat, par cette belle journée ?

« Son foyer lui est-il devenu trop étroit, ou bien trop solitaire ? Pourquoi cet habit des grands jours ? Est-ce au temple qu’il veut aller ? Nul bruit de cloches n’y appelle ; les portes du temple sont fermées, et le 17 août n’est pas un jour de fête.

« Pourtant le vieux soldat sait bien qu’on célèbre en ce moment même quelque part le service divin. Ce n’est pas dans l’église, il est vrai, mais tout près de là ; oui, là-bas sur la hauteur, tout le long de la bruyère jusqu’au lac voisin, une troupe de Finlandais combat aujourd’hui pour la patrie et le roi.

« Et à cause de cela le 17 août, aux yeux du vieux soldat, sera un jour de fête. — Il va droit vers la colline où flotte le drapeau finlandais. Il veut voir le service divin célébré en ce jour par le brave Adlercreutz.

« Il veut entendre encore une fois dans sa vie le cliquetis des armes, l’harmonie bien connue des pièces de campagne ; il veut retrouver par le souvenir le courage et la force de sa jeunesse, et il veut voir enfin comment la génération nouvelle sait se comporter au feu.

« Il s’avance d’un pas lent, mais tranquille. Il a dépassé le mur extérieur de l’église. C’est là que pèse tout l’effort du combat. Il prend place sur une