Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 11.djvu/235

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sein de ce conseil des commissions analogues à nos comités législatifs pour préparer les questions à discuter. C’est à tort, selon M. Caillet, qu’on lui attribue la création des intendans de provinces : il en existait déjà en plusieurs lieux huit ou dix ans avant son ministère ; mais il les fixa vers 1633, et les établit, partout d’une manière permanente. Il avait compris qu’il y avait dans cet expédient de ses prédécesseurs le germe d’une institution qui plus tard en effet, perfectionnée peu à peu, a produit nos préfectures. Par ces intendans, il annula les gouverneurs militaires qui se faisaient suzerains dans leurs gouvernemens, et les renferma dans leurs fonctions ; il surveilla les grands, réprima les parlemens, et retint dans leurs limites tous les pouvoirs locaux, qui n’usaient de leurs forces que pour empiéter les uns sur les autres et sur la royauté. Il maintint l’indépendance du pouvoir civil en présence de l’église, et favorisa les institutions religieuses qui s’élevèrent de son temps pour la piété et la science. La guerre et la marine reçurent de lui des règlemens et en quelque sorte une vie nouvelle. Il organisa les consulats, poussa au commerce extérieur, conclut des traités avec la Russie encore inconnue, avec les Barbaresques et les peuples asiatiques, songea aux colonies naissantes, favorisa les premiers établissemens des industries de luxe, tels que les glaces, tapis et tapisseries, que Colbert devait un jour continuer ou recommencer : il ne faisait d’ailleurs lui-même que continuer Henri IV. Comme il avait appelé de Flandre des tapissiers, il appela de Hollande des ingénieurs pour dessécher les marais. Nous ne multiplierons pas ces indications : il est trop évident qu’il y eut sous Richelieu un grand travail d’ordre et de réparation, ce qu’on aurait pu présumer d’ailleurs en réfléchissant à l’étendue de cet esprit de suite qu’il demandait aux autres, et qui fit la grandeur et le succès de ses vastes desseins. On voit aussi qu’il n’y a guère dans ce monde de créations soudaines ; bien des choses, qui ne nous rappellent d’abord que le nom de Colbert, et avec justice assurément, avaient pourtant été ébauchées, ou projetées, ou conçues par le cardinal de Richelieu ; d’autres, avancées ou terminées par celui-ci, remontent à Sully ou à Henri IV. Ainsi s’allonge lentement cette chaîne de la civilisation traditionnelle, dont les malheureux cyclopes de la politique viennent tour à tour forger péniblement chacun son anneau.

Il y a relativement à Richelieu une autre erreur non moins répandue que celle qui lui dénie ou qui méconnaît ses travaux administratifs. Par un certain besoin d’avoir des idées nettes et des personnages qui les représentent dans l’histoire, on s’est pris à considérer Richelieu comme l’ennemi et même le destructeur de la noblesse, un niveleur, ou tout au moins l’un de ceux qui ont voulu élever la bourgeoisie sur les débris de l’ordre aristocratique, et effacer les distinctions de naissance. Il n’en est absolument rien, et c’est le contraire qui est la vérité. Les grands que Richelieu abaissa n’étaient pas le corps de la noblesse ; s’ils avaient des partisans dans son sein, ils en avaient aussi dans les corporations urbaines ; leur but n’était pas d’instituer l’aristocratie, mais de se faire à eux-mêmes des espèces de fiefs héréditaires et de grandes existences aussi rapprochées que possible de la souveraineté. C’est Richelieu au contraire qui, après avoir soumis ces rebelles oublieux du temps où ils vivaient, et démoli, partout les châteaux forts, quelquefois à