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que M. Renan ne rend pas pleine justice aux écrivains qui l’ont précédé. Il expose fort bien l’irrésistible mouvement d’idées qui a entraîné l’Allemagne à la critique audacieuse du texte évangélique. De Wolff au docteur Strauss, des études critiques sur Homère aux études critiques sur Jésus-Christ, il suit cette curiosité ardente, ces efforts de pénétration et de sagacité, qui tendent uniquement au vrai sans se préoccuper du scandale. Il montre parfaitement que l’explication, irrévérencieuse en apparence, d’Homère et de son œuvre a été faite par des hommes dévoués à l’antiquité, comme la critique de l’Évangile a été entreprise par des théologiens. Tout ce tableau est excellent ; mais pourquoi dire que, de tous les penseurs de l’Allemagne, M. Strauss est le plus mal apprécié en France, qu’il n’y est connu que par les injures de ses adversaires, qu’on l’a accusé d’avoir nié l’existence du Christ, et que c’est en des termes aussi absurdes qu’on a résumé la Vie de Jésus ? Je ne connais en France qu’un seul écrivain, — je dis un seul écrivain digne d’occuper M. Renan, — qui ait résumé et discuté l’ouvrage de M. Strauss : c’est M. Edgar Quinet. Le travail de M. Quinet, ceux qui l’ont lu ici même ne l’ont pas oublié[1], est une des réfutations les plus solides qu’ait provoquées la théologie hégélienne. Tandis que la plupart des hommes à qui appartenait cette discussion ignoraient le livre de M. Strauss, évitaient d’en parler, ou ne s’en occupaient que pour déclamer contre la nébuleuse Allemagne, un philosophe, au nom de l’histoire, au nom du sentiment chrétien, au nom de la conscience morale de l’homme, repoussait les subtilités du mythologue et maintenait la personnalité de Jésus. M. Quinet n’examinait pas la question en érudit, il la jugeait en penseur. M. Renan, sans être tout à fait d’accord avec l’auteur de la Vie de Jésus, adopte plusieurs des principes qu’il a posés. Je ne crois pas cependant qu’il ait ébranlé par aucun argument nouveau les objections de M. Quinet. Il convenait en tout cas de tenir compte d’un tel travail. Pour moi, bien que le critique français diffère sur plus d’un point du théologien allemand, c’est encore à M. Quinet que je demanderai mes argumens contre le brillant émule de M. Strauss.

Le système de M. Renan, tel que je l’exposais tout à l’heure, peut-il expliquer légitimement l’origine du christianisme ? Les hésitations de l’auteur ou du moins les détours un peu embarrassés de son exposition pourraient faire croire qu’il n’est pas très sûr lui-même de son droit. Tantôt il reproche à M. Strauss d’avoir méconnu l’importance du rôle personnel de Jésus, tantôt il reproduit sous une autre forme la pensée qu’il vient de réfuter. Ici il glorifie la personne de

  1. Voyez la Revue des Deux Mondes du 1er décembre 1838.