Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 11.djvu/275

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

étude sur les origines premières de l’Évangile. Quelques changemens qui puissent se faire dans l’église et dans le christianisme, une chose restera toujours à travers tout et au-dessus de tout : c’est le fondement de notre foi, Jésus-Christ toujours le même, hier et aujourd’hui, et dans l’éternité. »

Ainsi, tandis que M. Renan rectifiait sur des points essentiels les théories de M. Strauss, l’Allemagne, avec sa fécondité théologique, renouvelait tout le domaine de la science. La critique a le droit d’être exigeante avec un esprit aussi riche que M. Renan, et j’ose lui reprocher de n’avoir pas donné le tableau exact de ces grandes controverses. S’il n’a voulu que développer sa propre pensée sur la personne et le rôle de Jésus-Christ, il a écrit une œuvre ingénieuse, pleine d’excellens détails, bien que placée, à mon avis, sous le coup de nombreuses objections ; s’il a prétendu faire connaître les historiens critiques de Jésus, son tableau, qui eût suffi il y a vingt ans, n’est plus tout à fait exact aujourd’hui. Après les travaux de l’école de Tubingue et la polémique qu’ils ont suscitée, après des hommes tels que M. Baur et M. Ewald, il n’est plus possible de s’en tenir à M. Strauss.

J’ai examiné avec l’attention qu’elles méritent les idées fondamentales du livre de M. Ernest Renan ; je n’ai pas besoin de m’arrêter longtemps aux chapitres qui sont comme l’application de son système. C’est une série d’études très fines sur l’Imitation de Jésus-Christ, sur les Lettres de Calvin, sur Channing et l’unitarisme aux États-Unis, sur les saints du moyen âge, sur les transformations de l’idée du diable à travers les siècles. On y remarquera surtout, avec la science de l’érudit, les exquises délicatesses de l’artiste. J’aurais bien encore çà et là des réserves à faire. À propos de l’Imitation, M. Renan n’exagère-t-il pas le dédain aristocratique de son moine italien, dont il a tracé d’ailleurs le gracieux profil en peintre consommé ? En lui attribuant tant de finesse, ne méconnaît-il pas chez lui la science de la douleur ? A-t-il bien entendu le son de cette âme profonde, ce que M. de Sacy appelle si bien le gémissement même de l’humanité ? Est-ce bien d’ailleurs à un Italien qu’il faut accorder l’honneur d’avoir écrit ce beau livre, et l’auteur de l’Imitation, après tant de recherches infructueuses, ne doit-il pas rester caché à jamais, caché comme l’âme du juste, caché comme le Dieu qu’il a si tendrement aimé, comme ce Dieu qui est à la fois le Dieu des catholiques, des protestans, des philosophes, et dont aucune langue humaine ne sait le vrai nom ? Cette conclusion, qui est celle des maîtres les plus autorisés, me paraît plus conforme aux exigences de l’art que l’élégante peinture du moine de M. Renan.

On a reproché aussi au savant critique d’avoir diminué la valeur de Channing ; mais cela tient, chez lui, à un goût de l’originalité et