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Et pourtant, malgré tant d’efforts, rien ne témoigne que la misère ait cédé du terrain ; elle en aurait gagné plutôt, si l’on s’en rapporte aux appels multipliés de la bienfaisance privée et aux chiffres douloureux qui les accompagnent. Quant aux documens officiels, ils en sont restés au point où les a laissés l’auteur d’un rapport récent, M. de Watteville, qui évaluait à 1 sur 12, c’est-à-dire à 8 pour 100, la proportion du nombre des indigens comparé à celui de la population générale.

Tels sont les faits, et il convient d’ajouter que, pour ces derniers temps, des causes accidentelles, telles que la disette et la guerre, ont contribué à les empirer ; mais au-dessus et en dehors de ces fléaux passagers, il existe un motif permanent, une sorte de loi qui empêche la misère de décroître en raison des soulagemens qu’on lui oppose. Cette loi, ce motif, ont été signalés par tous les hommes versés dans ces matières. L’assistance privée ou publique a un double effet ; elle crée autant de pauvres qu’elle en secourt, et entretient la misère au lieu de l’éteindre. Toutes les fois que cette assistance a quitté son caractère libre et spontané pour revêtir des formes plus savantes, à l’instant même et en regard la misère s’est constituée dans des conditions analogues et a affecté une sorte d’organisation. Plus l’assistance tendait à se changer en institution, plus la misère dégénérait en une profession avouée. Les besoins semblaient se mesurer sur l’aumône, et non l’aumône sur les besoins. Tel est l’écueil souvent signalé et toujours menaçant où viennent échouer les combinaisons en apparence les plus efficaces. À mesure que les sociétés arrivent à l’aisance et à la richesse, il naît dans leur sein, à côté de l’indigence réelle, une indigence artificielle, produit de la paresse et des mauvaises mœurs, qui procède du calcul plutôt que de la nécessité, et résiste aux moyens employés pour l’extirper avec l’énergie des végétations parasites. Au lieu d’être un embarras, cette indigence artificielle devient parfois un instrument de domination, et le passé en fournit plus d’un exemple. C’est ce dont il est aisé de se convaincre quand on suit, à travers les temps, la marche du paupérisme administratif, les empiétemens volontaires ou forcés, les intermittences et les modifications qui s’y rattachent.


I

Cette histoire a été plus d’une fois écrite, et avec autorité. S’agit-il des périodes grecque et romaine, on a M. Rossi, qui a traité ce sujet avec la lucidité propre à son esprit, et quant aux époques plus récentes, on a M. de Gérando, qui apportait dans ces recherches la passion du bien public, puis MM. Duchâtel et Naville, dont les travaux,