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attributions du gouvernement la nomination des juges, qui appartenait auparavant au grand-cadi. Avant l’avènement de Saïd-Pacha, le sultan désignait le chef de la justice en Égypte, et à son tour celui-ci choisissait les juges qui devaient exercer leurs fonctions sous ses ordres. Comme l’autorité laïque n’a que peu d’action sur les lois civiles et criminelles, puisque la source de ces lois est dans la religion, il s’ensuivait que le service judiciaire était tout à fait en dehors du gouvernement et échappait complètement à son contrôle. Le système adopté donnait d’ailleurs naissance à un abus, le même qui vicie la plupart des institutions en Orient, la vénalité. Le grand-cadi achetait sa nomination à Constantinople, et comme conséquence de ce procédé, il vendait les charges judiciaires à ceux qui désiraient les exercer. Souvent, pour rentrer dans leurs avances, les juges s’entendaient avec les plaideurs. Ce genre de corruption a été attaqué comme les autres. Le vice-roi s’est assuré, en s’adressant à Constantinople, le droit de nommer les juges. L’administration de la justice et le choix des magistrats émanent donc directement de lui, et le scandale des transactions financières qui discréditaient ce service a disparu. S’il s’en fait encore entre juges et accusés, du moins elles sont dissimulées, et elles exposent le coupable à la sévérité du gouvernement, dont il dépend entièrement.

L’organisation du service militaire a été l’objet d’une réforme plus complète et plus importante encore. Ici, loin de continuer la tradition de Méhémet-Ali, il s’agissait de réagir dans une certaine mesure contre elle. L’effectif de l’armée égyptienne sous Méhémet-Ali s’élevait à près de cent soixante mille hommes, chiffre exorbitant en raison de la population du pays. Pour l’obtenir, ce prince faisait opérer des levées en masse dans les villages. Ces recrutemens étaient accompagnés de toute sorte de vexations, de misères et de ruines. Règle générale, dès qu’une levée d’hommes devait être faite dans un village, tous les habitans s’enfuyaient avec leurs enfans. Les uns s’enfonçaient dans le désert, les autres s’allaient cacher dans le dédale souterrain des tombeaux antiques, laissant aux femmes le soin de leur apporter des alimens pendant la nuit. Des soldats arrivaient. Le cheik-el-beled avait à fournir tant d’hommes. Il fallait qu’il les réunît et les présentât, sous peine d’encourir le déplaisir du moudyr et de subir tantôt une peine corporelle, tantôt une amende, mais tout au moins une disgrâce. Il employait donc tous les moyens pour former son contingent. D’abord on enlevait tous ceux des habitans pauvres qui ne craignaient pas de se montrer, pourvu qu’ils payassent un peu de mine et qu’ils ne fussent ni difformes ni hors d’âge. Ensuite on s’adressait aux mères et aux femmes des fugitifs, et quelquefois par de mauvais traitemens on s’efforçait de leur arracher le