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des terres qu’ils faisaient cultiver à leur profit. Même après la destruction de cette redoutable milice, quand Méhémet-Ali se vit seul maître du pays, les mosquées restèrent propriétaires d’une dotation en terres provenant de legs pieux et destinée à des aumônes, à l’entretien des édifices religieux, des citernes, des écoles publiques. Les cheiks possédaient également une petite partie du sol.

Ce fut pendant son séjour en Arabie que Méhémet-Ali donna l’ordre au kiâya-bey, ou lieutenant qu’il avait laissé en Égypte, de s’emparer de toutes les terres qui appartenaient aux particuliers. Celui-ci obéit, et le 1er février 1814, ce qui restait encore de propriétés foncières entre les mains des établissemens ou des individus fut réuni au domaine du vice-roi. En échange des titres, Méhémet-Ali devait donner l’équivalent des revenus de la propriété. Cet engagement fut-il exactement tenu ? Nous n’oserions en répondre. Dans la poursuite de ses vastes desseins, Méhémet-Ali ne s’arrêtait guère à écouter les réclamations, même justes, de quelques individus lésés, quand elles pouvaient lui faire obstacle. Ce n’était pas davantage par suite d’une vulgaire avidité que ce prince ajoutait ainsi quelques milliers de feddans de terre à ses immenses domaines. Son système de monopole commercial, qu’il croyait sans doute le plus propre à accroître les revenus de l’Égypte, se liait à un système de culture que le vice-roi se réservait de diriger lui-même, et qui comprenait la totalité du sol. Selon les besoins du commerce, qu’il savait prévoir, Méhémet-Ali décidait quelle culture serait spécialement développée chaque année. Tantôt c’était le coton, tantôt l’indigo, tantôt le riz. Des zones entières de terrain étaient dévolues par le pacha à tel ou tel produit, selon des nécessités dont lui seul se rendait compte. Une si vaste exploitation pouvait-elle être entravée par le libre arbitre de quelques habitans qui, possédant des îlots de terrain enclavés dans les propriétés du souverain, auraient protesté contre ses décisions en cultivant des champs de maïs au milieu de territoires plantés en coton ? Unique cultivateur, unique vendeur des produits naturels de l’Égypte, Méhémet-Ali devait forcément être, aussi l’unique propriétaire du sol. En cela d’ailleurs il n’innovait pas, puisqu’il se substituait purement et simplement aux droits du sultan, lequel était désintéressé par le paiement d’un tribut.

Quand Mohammed-Saïd arriva au pouvoir, la condition du paysan égyptien était des plus pénibles : établi sur des terres qui ne lui appartenaient pas, il cultivait des produits dont il ne pouvait pas disposer. Quand la récolte était faite, on en portait le produit dans des magasins où il était examiné et pesé. Une partie servait a acquitter la contribution foncière à laquelle était soumis chaque cultivateur,