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vice-roi, poussaient les enchères assez haut pour écarter tous les concurrens : les produits leur étaient donc adjugés ; mais le prix restait tel qu’il avait été réglé entre eux et le pacha. Méhémet-Ali évitait ainsi les hasards de l’adjudication publique, tout en ayant l’air de la subir.

Abbas-Pacha, non moins que son grand-père, était partisan du monopole ; mais sa politique était plus vulgaire et plus timide. D’ailleurs, dès qu’un pays commence à prospérer, dès que l’activité productive s’y est développée, n’importe par quel moyen, la liberté d’acheter et de vendre lui devient aussi nécessaire que l’air aux plantes, la pente aux fleuves. Cette loi est d’autant plus forte que la puissance commerciale d’un pays est plus grande. L’Angleterre en fournit un éclatant exemple, puisqu’ayant commencé par mettre son industrie et son commerce sous la tutelle d’un système protecteur des plus rigoureux, elle en est arrivée au libre échange. L’édifice du monopole n’étant plus, sous Abbas-Pacha, surveillé avec la même autorité que sous le gouvernement de son prédécesseur, le commerce s’agita dans ses entraves ; il profita de toutes les issues pour chercher l’air et la lumière. Le traité de 1838 l’y aida puissamment. Ainsi, malgré l’élévation de l’impôt, malgré les exactions subalternes, les cultivateurs trouvaient le moyen de produire un surplus d’objets d’exportation qui donnait matière à des transactions Libres et directes. Des négocians grecs, français et autres commençaient à expédier des agens dans l’intérieur avec mission d’acheter cet excédant et de l’envoyer à Alexandrie. C’était la naissance d’un commerce qui a pris aujourd’hui une grande extension. Ces opérations ne furent jamais vues d’un bon œil par le successeur immédiat de Méhémet-Ali. Il n’osait les interdire, car l’Europe s’y trouvait mêlée ; mais il les contrariait sous main. Des ordres secrets gênaient tous les mouvemens des agens commerciaux envoyés dans l’intérieur du pays. Les gouverneurs défendaient par exemple de louer des embarcations pour le transport sur le Nil des produits achetés aux cultivateurs. Saïd-Pacha, loin d’imiter la conduite de son prédécesseur, est entré franchement dans la voie de l’émancipation du commerce égyptien. Il a levé toutes les barrières qui pouvaient entraver le développement des transactions. Le régime qu’il a établi peut être exposé en peu de mots : liberté de cultiver les produits que chaque propriétaire, chaque paysan juge devoir donner le plus de bénéfice ; liberté de vendre sa récolte à tout acquéreur, d’en fixer le prix et d’en exiger la contre-valeur en espèces ; liberté de transporter les produits par tous les moyens et par toutes voies ; abolition des douanes intérieures qui entravaient et surchargeaient de frais la circulation des marchandises. Sincèrement adopté et maintenu avec