Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 11.djvu/383

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qui reposaient alors au fond des mers, dont elles ont conservé la forme ondoyante. Le mouvement de leurs puissantes crêtes ressemble encore au mouvement des grandes vagues par un jour d’orage : on dirait un océan solidifié.

Changeons maintenant le lieu de la scène. Il est dans le comté de Shrop une petite ville située sur une éminence, au milieu d’une contrée luxuriante. Là s’élève le vieux château de Ludlow (Ludlow-Castle), aujourd’hui en ruines. De ce point de vue, le voyageur découvre un paysage qui contraste, par la gaieté des habitations et des cultures, avec la figure imposante, mais chagrine, de ces belles alpes du pays de Galles d’où l’œil domine des cônes nus, quelquefois même des montagnes entières, punies de leur orgueil par la stérilité. À vos pieds coule, comme dans un abîme, la rivière Teme, qui, à quelque distance de là, tombe, au moyen de digues artificielles, de cascade en cascade. Les roches sur lesquelles est assis le vieux château de Ludlow méritent d’arrêter notre attention. La surface de ces roches est çà et là couverte par des rides gravées, on le suppose du moins, à une époque où ce qui est de la pierre était encore du sable et de la boue. Ces petits sillons onduleux ressemblent à ceux qu’on peut voir marqués sur nos grèves actuelles après le départ de la marée. Ce n’est pas tout. Dans ces mêmes roches de Ludlow-Castle, appartenant à ce que sir R. Murchison appelle le groupe upper silurian, ont été découvertes en Angleterre les premières traces de plantes terrestres et de poissons. Ces poissons, les plus anciens représentans de leur classe, apparaissent à l’auteur de Siluria comme un événement : la vie s’élève avec eux d’un degré sur l’arbre généalogique de la création animale. Après une longue période de siècles durant laquelle les vertébrés semblent n’avoir pas été appelés à l’existence, l’onchus (c’est le nom du poisson fossile) aurait enfin dominé la population ancienne des mers. L’onchus fut, toutes proportions gardées, l’homme de son temps. À côté de lui, et pour ainsi dire sous lui, vivaient en même temps des zoophytes, des annélides, des mollusques, des crustacés. La surface du vieil océan silurien était en outre émaillée de crinoïdes, animaux fixés par une sorte de tige au fond des mers, d’où ils venaient s’épanouir en forme de calice à la surface. Cette masse d’eau, l’Angleterre d’alors, ainsi animée par ces fleurs vivantes, qui cédaient gracieusement au moindre courant des vagues, comme les fleurs de nos jardins au souffle de la brise, aurait présenté à l’observateur (s’il y avait eu un observateur dans ce temps) l’image d’un vaste champ de lis et de tulipes.

Parcourir le Shropshire et le pays de Galles, si fertiles en scènes grandioses, c’est, on le voit, parcourir le champ primitif de la création. Ces deux districts, qui se confondent dans une même province