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par groupes distincts, par étages de la vie, et en suivant une progression admirable dans les bancs qui se succèdent les uns aux autres ; que ce sont les restes de créatures dont le type est perdu dans la nature actuelle. L’âge dévonien fut surtout l’âge des poissons[1]. Êtres fantastiques et bizarres, boules hérissées d’épines, canots vivans avec des rames et un gouvernail, nageoires enveloppées d’écaillés, robes d’émail du plus beau japon, tout annonce chez eux une période de la plus haute antiquité, un temps dont les formes ont passé de mode. « Les figures d’un vase de Chine ou d’un obélisque égyptien, dit Miller, s’écartent moins de la représentation réelle des objets que les poissons fossiles du vieux grès rouge ne s’éloignent des formes vivantes qui nagent maintenant dans nos mers. » Ses promenades dans ce vieux champ de la nature ramenaient chaque jour à la lumière un des anciens habitans des anciennes mers calédoniennes : aujourd’hui le ptérichtys ou poisson ailé, sorte d’aspiration vers la classe des oiseaux ; demain le céphalaspis, une longue queue greffée sur une tête en forme de croissant et recouverte d’un lourd bouclier. La création dévonienne s’arrêtait-elle aux poissons ? Non : pour la première fois se montre un reptile, le telerpeton elginense, dont le fossile unique a été découvert, il y a seulement quelques années, à Elgin, au sud de l’embouchure du Murray, dans les régions supérieures du vieux grès rouge. Il est permis de regarder ce reptile solitaire comme l’avant-coureur des grands lézards qui viendront plus tard habiter la Grande-Bretagne. C’est un être qui devance les temps. Suivant Hugh Miller, l’ère qui vit déposer le vieux grès rouge fut suivie d’une période de mort. Le nuage des temps passa et jeta sur d’innombrables cadavres un sédiment boueux qui les ensevelit comme une neige de novembre efface la végétation du dernier automne. Dans cet intervalle, les eaux de la mer désolée semblent avoir été dépourvues de vie animale. Quelques écailles et quelques plaques osseuses de poissons commencent ensuite à se remontrer ; mais ces poissons, véritables pionniers de l’abîme, ont dû être peu nombreux, si l’on en juge par leurs débris, rari nantes in gurgite vasto.

Revenons dans le sud du pays de Galles. Dans certains endroits, le voyageur distingue tout autour de lui des montagnes de grès rouge ; mais, s’il regarde aux pentes méridionales de ces montagnes, il voit au loin les roches surplombées par des masses de calcaire d’une autre nuance : c’est la transition entre l’ère dévonienne et l’âge carbonifère, la limite entre deux provinces géologiques. Les

  1. On en a découvert en Écosse, dans le vieux grès rouge, jusqu’à soixante-cinq espèces.