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Voilà comment sont les prêtres de l’église, tales sunt sacerdotes ecclesiœ ! »

Les grands périls font les grands hommes, ou du moins les mettent à leur place par le besoin qu’on a d’eux. Il s’éleva alors, d’abord dans l’épiscopat, et plus tard dans l’ordre de Cluny, des personnages éminens par leur caractère et par leur intelligence, qui, pour la plupart, ont laissé éteindre leurs noms dans un dévouement obscur, et dont le mérite ne peut être mesuré que par l’énormité du mal, qui ne les découragea pas, et par la constance des efforts qu’ils firent pour le guérir. Ils se souvinrent, au milieu du relâchement général, qu’ils avaient mission de combattre pour le droit et pour l’humanité, et pendant que la royauté des premiers capétiens, pouvoir nominal, avait assez à faire de se défendre elle-même, ils donnèrent le premier branle à ce mouvement qui, pendant deux cents ans, combattit l’anarchie. Ce long effort de pacification, dont l’histoire d’ordinaire parle trop incidemment, se lie à tous les progrès de cette époque, qui furent immenses, si l’on considère le point de départ. Il se lie à l’établissement plus régulier de la féodalité, à la renaissance de la bourgeoisie, au redressement de la royauté, à la prépondérance de la théocratie pontificale, à l’entraînement des croisades. Il donna l’étincelle qui enflamma ce qu’il pouvait y avoir encore d’esprit public dans ce déluge de maux, qui rallia la pensée du peuple, jusqu’aux derniers rangs, dans une espérance de paix, et parvint enfin à dissiper cette longue nuit pleine de tempêtes et de visions lugubres.

Trois périodes sont à distinguer dans cette lutte de l’église contre le brigandage des guerres privées. Dans la première, elle n’emploie que des moyens de coaction spirituelle dont elle avait usé de tout temps ; mais pourtant déjà elle cherche à les fortifier du concours actif de la population contre les seigneurs rebelles. Dans la seconde se produit l’institution nouvelle et singulière qui est la paix de Dieu ou trêve de Dieu proprement dite. Dans la troisième, les succès obtenus et le progrès des temps ayant déjà fait surgir la puissance civile, l’église se retire en quelque sorte, ou elle agit moins directement, et elle transmet à la magistrature et à la royauté naissantes la fonction dont elle s’était emparée en leur absence, lorsqu’elle était seule debout, quoique ébranlée elle-même dans la confusion de toutes choses. Nous croyons que M. Kluckhohn est le premier qui ait nettement indiqué ces trois degrés d’ascension vers la paix ; la trêve de Dieu, institution originale et désormais mieux caractérisée, occupe le milieu de la ligne, et marque la transition entre les mesures trop diverses et trop peu concertées de l’épiscopat et la concentration de cette police dans la main déjà plus nerveuse de la royauté sous Philippe-Auguste et saint Louis.