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dimanche d’abord, puis chaque fête et les temps de préparation à ces fêtes, plus tard certaines périodes déjà consacrées, telles que l’avent et le carême (car on envahissait toujours), devenaient pour les plus farouches, tourmentés par cette prédication continuelle, des momens de trêve imposés par Dieu même. On avait trouvé un point de départ dans l’éducation, dans les prières bégayées par l’enfance, dans une pratique généralement enracinée dans la vie de tous. À cette pratique, à cette observation des jours consacrés, on rattachait l’obligation de garder la paix, comme inhérente de tout temps à la religion. La paix devenait ainsi une partie du culte. On ne proposait plus de supprimer la guerre, vaine tentative d’autrefois, mais on l’interrompait. On procurait un long et fréquent intervalle à la réflexion, des ouvertures au remords, du silence pour entendre les voix conciliatrices. Il n’y avait rien de nouveau ; c’était l’ancienne discipline de l’église qu’on élargissait insensiblement. Tout se faisait par des raisons générales, plausibles, religieuses, qui n’entraient point dans les questions brûlantes du droit, de la souveraineté seigneuriale, ni dans le fond des querelles particulières. La religion et la paix ainsi réunies s’emparaient de la moitié de chaque semaine et de plusieurs longues périodes de l’année. On n’avait demandé que ce qu’il était possible d’obtenir ; on l’obtint en partie, et de plus en plus avec le temps.

En dépit de tous ces beaux motifs, on douterait encore de la possibilité d’un succès quelconque d’une pareille idée, si la preuve n’en était faite. Du midi de la France, la trêve de Dieu se répandit promptement dans le nord, passa par la Normandie en Angleterre, en Allemagne par Liège et Cologne, fut reçue en Italie et en Espagne. Elle devint en outre une base et un point d’appui pour les autres mesures à prendre en vue du même résultat ; tous ces anciens règlemens qui avaient, à différentes reprises et dans différentes provinces, été portés pour rétablir la paix publique y furent rattachés et en tirèrent une force qu’ils n’avaient pas encore eue ; les conciles postérieurs y rapportent leurs nouveaux décrets. La trêve de Dieu devient comme une personne morale ; on met sous sa garde les clercs, les pèlerins, les marchands, les cultivateurs, les femmes ; on lui voue les animaux domestiques, les bergers et leurs troupeaux, les bêtes de labour, les instrumens d’agriculture, les oliviers. Autant que possible, on attachait à ces objets mêmes quelque idée pieuse qui les protégeait. Par exemple, pour préserver les oliviers, dont la destruction est pour si longtemps irréparable, on rappelait qu’ils donnent l’huile du saint chrême, ou celle de la lampe qui brûle jour et nuit dans le sanctuaire : c’était un caractère sacré qu’aucune belle raison d’ordre public, si persuasive fût-elle, n’aurait pu remplacer.